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19 février 2014 3 19 /02 /février /2014 16:57

Ou: Comment la finance, Washington, le FMI ont utilisé Mandela

 

Par : Steve Weissman

 

 

« Mandela mérite une grande admiration pour avoir mis fin au racisme de l’apartheid, dit Patrick Bond, un économiste né à Belfast et formé politiquement en Amérique, mais son héritage inclut la continuation de la pauvreté de masse ».

 

 

Ce texte, dont nous signalons l’importance à nos lecteurs pour comprendre la conjoncture de la période qui a précédé les premières élections démocratiques de 1994, occulte cependant quelques antécédents, voir les choix difficiles que l’ANC avait dû affronter à cette période, y compris le renoncement à la mise en œuvre d’une politique économique socialisante. Ce n’est pas une décision personnelle de Mandela, ni même le simple fruit de pressions directes, mais surtout le constat que l’alternative à un compromis avec le pouvoir blanc était la poursuite de la lutte armée et de la désobéissance civile, etc., avec le coût humain que cela comporterait. Le but immédiat étant de faire sauter le verrou de l’apartheid et de mettre en place un gouvernement représentatif de la majorité.

 

 

Bien sur, les principales multinationales sud-africaines, qui étaient également intéressées à mettre fin à un système devenu ingérable et qui renchérissait de surcroit la main d’oeuvre qualifiée, (la majorité des travailleurs noirs n’ayant pas accès à la formation pour accéder à des postes dans le secteur minier ou l’industrie, les salaires des techniciens Blancs ont fini par exploser) ont tout mis en oeuvre pour convaincre l’ANC de l’intérêt commun d’une transition pacifique et le respect de la propriété privée.

 

 

L’ANC a longuement négocié la première constitution démocratique du pays avec le pouvoir blanc, dont le résultat est un des textes fondamentaux les plus avancées selon les critères démocratiques occidentaux. L’ANC et Mandela avaient, naïvement, peut-on ajouter aujourd’hui, compté sur le pouvoir politique que leur auraient octroyé les urnes pour procéder à des réformes permettant une politique accélérée de redistribution des richesses. Mais le choix d’une orthodoxie financière – destinée à maintenir la confiance des investisseurs et éviter d’être placé sous la tutelle du FMI – ont significativement réduit la marge de manœuvre nécessaire au lancement durable d’une politique volontariste en faveur des plus pauvres, telle celle prévue par le premier programme de reconstruction et développement (RDP). Alors qu’il aurait plus que jamais fallu de l’audace pour imposer des mesures économiques fortes, quitte à froisser le grand capital blanc national, le vice-président et puis président Thabo Mbeki (et son équipe au sein de l’ANC) a fait le choix d’une politique libérale, confiant dans la croissance économique à venir pour réduire, un tant soit peu, les fortes inégalités sociales, tout en cherchant à favoriser l’émergence d’une classe moyenne et d’entrepreneurs noirs. Nelson Mandela, dont la priorité en tant que chef d’Etat avait été d’œuvrer pour la réconciliation nationale, immense tâche à l’époque (pour laquelle il n’a pas eu au début de son mandat le soutien des pays occidentaux que ceux-ci veulent faire croire) n’est pas, en tout cas, le concepteur de ce tournant économique qui pèse encore aujourd’hui dans la gestion du pays par l’ANC et ses alliés.

 

 

« La nationalisation des mines, des banques et des industries monopolistiques, voilà quelle est la politique de l’ANC, et tout changement ou modifications de notre position à ce sujet est inconcevable », écrivait Nelson Mandela en janvier 1990, deux semaines avant d’être libéré de sa longue captivité sur Robben Island. Il rassurait ses camarades de l’ANC qu’il restait loyal au programme socialiste économique, inscrit dans la Charte des Libertés de 1955. L’ANC rendrait, promettait-il, au peuple d’Afrique du Sud les richesses que les Blancs fortunés avaient volées sous le régime colonial britannique et les années d’apartheid afrikaner.

 

 

Quatre années plus tard, il devenait président de toute l’Afrique du Sud, démocratiquement élu dans le cadre des premières élections auxquelles l’écrasante majorité non-blanche était autorisée à voter. Mais à cette époque, Mandela et ses hommes les plus proches avaient secrètement donné leur accord pour précisément changer l’option qu’il estimait « inconcevable » de modifier.

 

 

L’ANC abandonna la nationalisation et une redistribution radicale des richesses. Ils promirent de rembourser les 25 milliards de dettes que le gouvernement d’apartheid avait accumulées. Ils supprimèrent le contrôle des changes, permettant à de grandes corporations et aux riches Blancs d’envoyer leur argent à l’étranger. Et, au lieu d’un socialisme d’État du haut en bas, comme pratiqué par feu l’Union soviétique, ou plutôt d’une économie mixte à la scandinave, ils se précipitèrent vers le tout contrôle par le privé, le « libre marché », une économie de ruissellement, la trickle down economics prêchée par Milton Friedman et l’École de Chicago, et le « Consensus de Washington ».

 

 

Le résultat de ce programme économique néolibéral a été à la fois tragique et prévisible. Malgré son principe juste de démocratie politique « un homme, une voix » l’Afrique du Sud souffre aujourd’hui d’un fossé plus profond entre riches et pauvres, Noirs et Blancs, que pendant l’apartheid. « Mandela mérite une grande admiration pour avoir mis fin au racisme de l’apartheid, dit Patrick Bond, un économiste né à Belfast et formé politiquement en Amérique, mais son héritage inclut la continuation de la pauvreté de masse ».

 

 

La vraie histoire du revirement de Mandela doit être écrite maintenant. Mais une partie est déjà écrite par l’économiste national le plus célèbre et qui a le plus de relations, Sampie Terreblanche, dans son étude souvent citée Lost in transformation : South Africa Search for a New Future since 1986, publié en 2012. Comme il l’explique, il y a eu un coup d’État capitaliste silencieux exécuté par un capitaine d’industrie et l’un des hommes les plus riches du monde, Sir Harry Oppenheimer, le président à la retraite de l’Anglo-American Corporation et De Beers Consolidated Mines.

 

 

Connu comme un opposant du big business au régime d’apartheid, mais non comme un partisan de l’ANC, Oppenheimer commença à tenir en 1991 une série de réunions secrète des dirigeants des industries minières et de l’énergie avec les dirigeants des compagnies américaines et britanniques actives en Afrique du Sud. Il y avait aussi les jeunes économistes de l’ANC formés aux Etats-Unis qui en référaient à Mandela. Les réunions commencèrent dans la propriété d’Oppenheimer à Johannesburg, Little Brenthurst, et se déplacèrent ensuite à la Banque africaine de développement, sur la route de Pretoria, où il était plus facile de garder le secret. Oppenheimer déjeunait aussi régulièrement avec Mandela qui sortir de sa ligne pour consulter le magnat des mines sur des questions d’importance économique.

 

 

Selon Terreblanche, maintenant octogénaire, dans une interview en août dernier, Oncle Sam joua un rôle majeur dans le tandem avec Oppenheimer et son Groupe de Brenthurst. Les Américains, d’abord sous George H.W.Bush et progressivement sous Bill Clinton, « menacèrent l’ANC d’une façon plutôt diplomatique » et leur dirent, « si nous ne voulez pas accepter nos propositions, nous pouvons déstabiliser l’Afrique du Sud ».

 

 

Terreblanche spécule aussi sur le fait que les Américains ont versé des « dessous de table ». Tout ceci est arrivé à un point critique en 1994, quand le Fonds monétaire international accepta de prêter à l’Afrique du Sud 850 millions de dollars pour la transition, mais à condition que l’ANC accepte le plan économique concocté avec Oppenheimer, son Groupe Brenthurst de copains magnats et l’Administration Clinton à Washington. Pour le révolutionnaire blanc le plus célèbre d’Afrique du Sud, Ronnie Kasrils, un dirigeant du Parti communiste et co-fondateur avec Mandela de la branche armée de l’ANC, « Umkhonto we Sizwe », « la lance de la Nation », ce fut un « moment faustien ».

 

 

Avec toutes ses conditions, le prêt interdisait tout programme économique radical, tout comme les concessions faites par l’ANC « pour que les négociations se poursuivent et prendre livraison de la terre promise à notre peuple ».

 

 

Dans la nouvelle introduction de ses mémoires Armed and Dangerous, Kasrils s’en veut autant qu’à Mandela de s ‘être « dégonflé », selon ses propres mots. « Le doute s’installait : nous pensions, à tort, qu’il n’y avait pas d’autre option, que nous devions être prudents, car, en 1991, notre allié autrefois puissant, l’Union soviétique, ruinée par la course aux armements, s’était effondrée. De façon inexcusable, nous avions perdu confiance dans la capacité de nos masses révolutionnaires ».

 

 

S’accrocher aurait-il provoqué le bain de sang que Mandela craignait tant ? « Briser l’apartheid par des négociations, plutôt que par une guerre civile meurtrière, semblait, alors une option trop bonne pour être ignorée », rappelle Kasrils. Mais « craquer n’était pas nécessaire ni inévitable ». Les vastes réserves minières du pays et le déclin moral du vieil ordre auraient permis des avantages bien plus importants à la table de négociation. « Si nous n’avions pas craqué, nous aurions fait davantage pression sans faire les concessions que nous avons faites ».

 

 

Sans recherche historique approfondie, personne ne peut le savoir. Mais le manque de démocratie à l’intérieur de l’ANC légalisée, le caractère secret de l’ensemble des négociations, et la volonté du mouvement de suivre Mandela qui avait été enfermé pendant 27 ans et n’avait jamais réellement compris les conséquences de rejoindre une économie globale contrôlée par le privé, donna à Oppenheimer et ses alliés un avantage énorme dans les négociations.

 

 

Vétéran du Mouvement « Berkeley Free Speech », et du mensuel de la Nouvelle Gauche Ramparts, Steve Weissman a vécu pendant de nombreuses années à Londres. Il travaille comme écrivain et producteur pour la télévision. Il vit et travaille maintenant en France où il fait des recherches pour un nouveau livre : Big Money, How Global Banks, Corporations, and Speculators Rule and How To Break Their Hold.

 

 

Source : (source : Reader Supported News, 11 décembre 2013-12-15 Traduction A.A.)

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