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18 janvier 2019 5 18 /01 /janvier /2019 10:27

Le Grand Débat de monsieur est avancé…
par Descartes

vendredi 18 janvier 2019, repris sur Comité Valmy

 

http://www.comite-valmy.org/IMG/jpg/armes_letales_vs_gl2.jpg

« On ne se refait pas », dit la sagesse populaire, et c’est vrai. La lecture de la lettre du président de la République publiée par l’ensemble des médias et destinée à lancer le « Grand Debat » ne nous apprend rien de bien nouveau sur notre président et ses idées. Ni sur la forme, ni sur le fond ce document ne marque une rupture avec le style, avec la pensée présidentielle. Tout juste peut-on y lire un effort surhumain pour montrer une humilité qui est souvent absente dans ses interventions. Mais pour le reste, rien que du classique. Y compris dans la pauvreté du style.

Le document m’a déçu. Non pas que j’attendisse l’annonce d’un changement de politique, ni même des mesures concrètes répondant à la colère populaire qui se manifeste depuis neuf semaines. Mais je m’attendais au moins à un document ayant un certain souffle, une certaine hauteur, un certain style. Et qu’est ce qu’on a ? Un document dont la première partie est digne d’un – mauvais – devoir scolaire et dont la deuxième partie est une alternance d’affirmations à l’emporte-pièce et d’une litanie de questions qui évitent soigneusement d’aborder les points fondamentaux pour se concentrer sur le symptôme.

Mais commençons par le commencement. C’est-à-dire, le devoir de l’élève Macron sur le thème « Pourquoi il faut être fier d’être Français ». Vous vous souvenez sans doute que l’élève en question, dans des devoirs précédents, avait déjà plusieurs exprimé tout son mépris à l’égard de notre pays et de ses habitants – comparés à des « gaulois réfractaires au changement », vous vous en souvenez sans doute – et qu’il avait manifesté sa volonté de les changer pour en faire des Américains dynamiques – la « start-up nation » en anglais dans le texte – ou des Allemands disciplinés. Il semblerait que le petit Emmanuel ait décidé de faire amende honorable. Celui qui n’a de cesse de nous expliquer que nous devrions faire comme les Américains, comme les Allemands, comme les Finlandais et que sais-je encore nous dit maintenant que « la France n’est pas un pays comme les autres » et que cela est un motif évident d’être « fier d’être Français ». Quitte à surjouer la partition : ainsi, par exemple, on apprend dans cette lettre que dans notre pays « les difficultés de la vie, comme le chômage, peuvent être surmontés (sic), grâce à l’effort partagé par tous », ce qui ne manquera pas de surprendre les chômeurs fort nombreux dans notre pays qui attendent quelquefois plusieurs années avant de « surmonter » cette petite « difficulté de la vie ». Ou bien que « chez nous, l’éducation, la santé, la sécurité, la justice sont accessibles à tous indépendamment de la situation et de la fortune ». Macron vit-il vraiment dans le même pays que le reste de nos concitoyens ?

J’ignore si le mouvement des « gilets jaunes » sauvera la France, mais il a en tout cas déjà fait au moins un miracle : grâce aux « gilets jaunes », Macron s’est mis à aimer la France. Fini le Macron qui fustigeait le conservatisme français qui empêche les « réformes », l’égalitarisme français qui empêche les « premiers de cordée » de réaliser leur potentiel, les spécificités françaises qui empêchent l’insertion du pays dans la globalisation à l’anglo-saxonne. Grâce à l’occupation des ronds-points et les manifestations hebdomadaires, Macron a découvert la richesse qu’est notre passion égalitaire, notre réactivité toute gauloise… D’autres, plus cyniques, diront que le président a su faire de nécessité vertu, que ce n’est pas la conviction mais la peur qui a provoqué ce changement de discours, qu’il ne faut pas confondre avec un changement d’opinion. Des méchants, sans doute…

Mais une fois qu’on a été fiers ensemble, il faut passer aux choses sérieuses, c’est-à-dire, au « grand débat ». Grand débat qui se trouve qualifié dans le texte présidentiel de « national ». Comme quoi, la nation semble faire son grand retour dans le discours macronien, alors que l’Europe sort discrètement par la porte de derrière. C’est d’ailleurs l’élément le plus remarquable de cette « lettre », celui qui montre peut-être le mieux une prise de conscience : alors qu’il n’y a pas si longtemps Macron ne voyait pas d’autre avenir pour notre pays qu’une intégration de plus en plus étroite dans l’Union Européenne, la question est totalement absente de la lettre. Le texte ne contient aucune référence à la construction européenne, à l’Union européenne, aux institutions européennes, à la construction européenne, aux traités européens. Et si on fait référence ici ou là timidement à notre « projet national et européen » ou au fait de porter nos questions « au niveau européen et international », aucune des questions posées pour orienter le débat ne porte sur ce sujet. Si pour Macron le fait d’être « fier d’être Français » s’impose comme une évidence, il est clair que la fierté d’être Européen n’est plus à l’ordre du jour.

Mais la question que la lettre ne permet pas de trancher est celle de savoir ce que son auteur entend précisément par « débat ». Car les mots ont un sens : un « débat » est une confrontation dans laquelle les participants échangent arguments et contre-arguments, dans le but d’exposer une démonstration et de convaincre un auditoire. Ce n’est ni une « consultation », qui est du registre de l’expression, ni un « vote », qui est du registre de la décision. Le problème, c’est que l’auteur de la lettre a beaucoup de mal à choisir entre ces trois registres.

Ainsi, à certains moments la lettre semble indiquer que l’objectif du « grand débat » est la consultation des citoyens : « C’est votre expression personnelle, correspondant à votre histoire, à vos opinions, à vos priorités, qui est ici attendue, sans distinction d’âge ni de condition sociale. C’est, je crois, un grand pas en avant pour notre République que de consulter ainsi ses citoyens. Pour garantir votre liberté de parole, je veux que cette consultation soit organisée en toute indépendance (…) » (c’est moi qui souligne). On se situe donc dans une logique de consultation : les citoyens sont appelés à une « expression personnelle » de leurs opinions, leurs priorités. Il ne s’agit pas d’argumenter et de convaincre, mais d’exprimer une vérité subjective qui, comme toute vérité subjective, est hors du champ de l’argumentation et donc du débat.

A d’autres moments, on semble se placer dans une logique de décision : « Ce débat devra répondre à des questions essentielles qui ont émergé ces dernières semaines ». Car répondre à une question implique de choisir parmi toutes les réponses possibles celle qui sera retenue. Mais comment un « débat » au sens véritable du terme pourrait « répondre à une question » ? Certains argumenteront une position, d’autres argumenteront une position contraire. Et à la fin du débat, certains auront changé d’avis, d’autres pas. Mais il y aura toujours plusieurs réponses possibles à la question posée. Comment le « débat » pourrait-il trancher entre toutes ces réponses ? Alors que l’objectif fixé implique une décision, aucune procédure de ce type n’est prévue. Pire, elle est exclue, puisqu’il est explicitement indiqué que le « débat » n’est « ni une élection, ni un référendum » et que les conclusions du « débat » seront tirées par le gouvernement.

En fait, à la lecture de la lettre on s’aperçoit que le processus proposé est tout sauf un véritable « débat ». L’idée d’argumentation, de conviction, de persuasion est totalement absente du texte. Le rôle décisionnaire étant exclu, il ne reste plus du « grand débat » qu’un grand forum d’expression. Cet exercice, inédit selon ses organisateurs, est en fait dans la droite ligne des grands et petits débats publics organisés régulièrement partout en France sur les sujets les plus divers depuis des années. Et a chaque fois, c’est le même scénario : une suite d’interventions, généralement préparées à l’avance et par conséquence n’apportant ni argumentation ni contradiction les unes aux autres. Ce sont des exercices d’expression ou chacun vient pour exposer sa marotte, pour dire sa vérité, pas pour écouter celle des autres. Et pour peu qu’on pratique souvent, on finit par connaître par cœur les gens qui s’expriment, car c’est toujours les mêmes : militants politiques locaux, associatifs, enseignants… et comme leurs marottes changent peu, on sait ce qu’ils vont dire avant qu’ils ouvrent la bouche. On imagine mal comment, à partir de tout ce matériel – on peut imaginer le travail de rédaction du compte-rendu d’une telle réunion – on arrivera à produire quelque chose.

Il n’y a aucune raison de penser que le « grand débat national » auquel on est conviés par le président de la République puisse être autre chose. Tout simplement parce que le vrai débat, qui met en jeu argument et contre-argument, nécessite une longue préparation, une formation des participants, et n’est donc raisonnablement concevable que sur une question très précisément délimitée. Cela suppose par exemple de fournir aux « débatteurs » des dossiers analysant les questions mises sur la table, les explications des experts – éventuellement leurs désaccords. Le débat sur le Traité constitutionnel européen en 2005 eut cette qualité, et on a pu observer d’ailleurs comment les arguments des uns et des autres ont emporté la conviction et changé le résultat. Mais imaginer qu’on puisse en deux mois faire un débat productif sur des questions aussi vastes que l’organisation de l’Etat ou la fiscalité, sujets en plus extrêmement techniques… non, ce n’est pas sérieux.

La préparation d’un véritable débat exige par ailleurs une rigueur dans le traitement des faits et des concepts. On ne peut pas commencer le débat avec des affirmations approximatives ou fausses. Exemple : pour préparer les questions sur la transition écologique, le président écrit : « Faire la transition écologique permet de réduire les dépenses contraintes en carburant, en chauffage, en gestion des déchets et en transports ». Cette affirmation est tout simplement fausse : pour le moment, les moyens de chauffage, les carburants et les transports « sales » sont moins coûteux que les alternatives « propres ». A performance égale se chauffer au charbon est moins cher que se chauffer au bois bio ou que faire des dépenses d’isolation, conserver son vieux diesel est plus économique qu’acheter une nouvelle voiture fut-elle électrique. Raconter que la transition écologique permet de gagner sur le plan environnemental à coût nul, c’est se moquer du monde.

Quant aux questions posées pour guider le débat… elles sont surtout intéressantes par le nombre de prémisses cachées qu’elles contiennent, et qui illustrent assez bien les préjugés qui sont ceux de Macron mais aussi de la classe à laquelle il appartient. L’exemple le plus amusant concerne la fiscalité. La question est ainsi libellée : « Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ? ». Pour le rédacteur de cette question il est évident que pour « rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace » il faut réduire les impôts. L’idée qu’on pourrait réduire certains impôts et en augmenter d’autres ne semble pas l’avoir effleuré…

Comme souvent, les questions les plus révélatrices sont celles qui manquent. Rien sur la rémunération du travail – comme si le pouvoir d’achat était une simple question de fiscalité. Rien sur l’éducation, l’industrie, la recherche, la sécurité, le cadre de vie. Rien sur les rapports avec les institutions européennes. La législation du travail, les politiques de l’emploi et la lutte contre le chômage, sont absentes en dehors d’une question cryptique sur « Comment mieux organiser notre pacte social ? Quels objectifs définir en priorité ? ». On aurait bien envie d’ailleurs de savoir ce qu’est ce « pacte social » qu’il s’agirait de mieux organiser (1).

En d’autres termes, si l’on suit le questionnaire proposé par le président on ne parlera surtout pas des thématiques lourdes qui touchent la vie et l’avenir des Français, les plus modestes comme les autres. A la place, on pourra utilement échanger sur des sujets aussi vitaux pour notre avenir que le fait de savoir si le vote blanc doit être reconnu, si le vote doit être rendu obligatoire, quelle est la bonne dose de proportionnelle et s’il faut limiter le nombre d’élus, tous sujets qui passionnent les militants et les élus mais qui laissent parfaitement indifférents les neuf dixièmes de nos concitoyens. Sur l’immigration, on nous propose de débattre sur l’intégration – mais surtout pas sur l’assimilation – et sur l’intérêt de fixer des quotas pour l’immigration légale, vieille mesure poudre aux yeux venue de la droite alors que le véritable problème se situe du côté de l’immigration clandestine et du regroupement familial.

Mais le plus glaçant sans doute est de constater qu’au détour d’une phrase le président expose une vision de la citoyenneté particulièrement étriquée : « Être citoyen, c’est contribuer à décider de l’avenir du pays par l’élection de représentants à l’échelon local, national ou européen ». Non, monsieur le président, être citoyen c’est bien plus que ça. C’est participer à la vie démocratique dans un parti, dans un syndicat, dans une association. C’est de contrôler l’action des gens qu’on a élus en usant du droit de pétition, de manifestation, de grève. C’est aussi se présenter aux élections et exercer un mandat – car, aussi surprenant que cela puisse vous paraître, les élus sont aussi des citoyens. C’est enfin, last but not least, de remplir les devoirs qui sont attachés à la qualité de citoyen. Car même si cela peut vous surprendre, être citoyen, ce n’est pas seulement avoir des droits…

le 15 janvier 2019

Descartes
http://www.comite-valmy.org/IMG/png/logo_drapeau_descartes-6.png

"pro rege saepe, pro patria semper"

(1) On se croirait revenus aux années 1960, quand travail et capital se partageaient les fruits de la croissance sous la houlette d’un Etat-arbitre. Mais de ce « pacte » il ne reste plus rien : nous avons aujourd’hui un capital qui dicte sa loi, et un Etat dont la fonction essentielle est d’expliquer au monde du travail qu’il faut accepter le diktat sous peine de perdre la bataille de la « compétitivité » et donc de perdre des emplois. De quel « pacte social » parle-t-on quand des salariés sont mis devant le choix entre sacrifier leurs salaires et leurs conquêtes sociales ou le chômage ?

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