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9 avril 2020 4 09 /04 /avril /2020 11:07

« Je suis venu mettre à l’arrêt la machine dont vous ne trouviez pas le frein d’urgence. »

paru dans lundimatin#234, le 21 mars 2020

 

Faites taire, chers humains, tous vos ridicules appels à la guerre. Baissez les regards de vengeance que vous portez sur moi. Éteignez le halo de terreur dont vous entourez mon nom. Nous autres, virus, depuis le fond bactériel du monde, sommes le véritable continuum de la vie sur Terre. Sans nous, vous n’auriez jamais vu le jour, non plus que la première cellule.

[Traductions : مونولوج فيروس Ο μονόλογος ενός ιού What the virus said Viruksen monologi 病毒独白 Monolog eines Virus’ Monólogo do vírus Monólogo del Virus Monologo del virus مونولوگِ ویروس ウイルスの独白 Վիրուսը Խոսում է A vírus monológja]

Nous sommes vos ancêtres, au même titre que les pierres et les algues, et bien plus que les singes. Nous sommes partout où vous êtes et là où vous n’êtes pas aussi. Tant pis pour vous, si vous ne voyez dans l’univers que ce qui est à votre semblance ! Mais surtout, cessez de dire que c’est moi qui vous tue. Vous ne mourez pas de mon action sur vos tissus, mais de l’absence de soin de vos semblables. Si vous n’aviez pas été aussi rapaces entre vous que vous l’avez été avec tout ce qui vit sur cette planète, vous auriez encore assez de lits, d’infirmières et de respirateurs pour survivre aux dégâts que je pratique dans vos poumons. Si vous ne stockiez vos vieux dans des mouroirs et vos valides dans des clapiers de béton armé, vous n’en seriez pas là. Si vous n’aviez pas changé toute l’étendue hier encore luxuriante, chaotique, infiniment peuplée du monde ou plutôt des mondes en un vaste désert pour la monoculture du Même et du Plus, je n’aurais pu m’élancer à la conquête planétaire de vos gorges. Si vous n’étiez presque tous devenus, d’un bout à l’autre du dernier siècle, de redondantes copies d’une seule et intenable forme de vie, vous ne vous prépareriez pas à mourir comme des mouches abandonnées dans l’eau de votre civilisation sucrée. Si vous n’aviez rendu vos milieux si vides, si transparents, si abstraits, croyez bien que je ne me déplacerais pas à la vitesse d’un aéronef. Je ne viens qu’exécuter la sanction que vous avez depuis longtemps prononcée contre vous-mêmes. Pardonnez-moi, mais c’est vous, que je sache, qui avez inventé le nom d’ « Anthropocène ». Vous vous êtes adjugé tout l’honneur du désastre ; maintenant qu’il s’accomplit, il est trop tard pour y renoncer. Les plus honnêtes d’entre vous le savent bien : je n’ai d’autre complice que votre organisation sociale, votre folie de la « grande échelle » et de son économie, votre fanatisme du système. Seuls les systèmes sont « vulnérables ». Le reste vit et meurt. Il n’y a de « vulnérabilité » que pour ce qui vise au contrôle, à son extension et à son perfectionnement. Regardez-moi bien : je ne suis que le revers de la Mort régnante.

Cessez donc de me blâmer, de m’accuser, de me traquer. De vous tétaniser contre moi. Tout cela est infantile. Je vous propose une conversion du regard : il y a une intelligence immanente à la vie. Nul besoin d’être un sujet pour disposer d’une mémoire ou d’une stratégie. Nul besoin d’être souverain pour décider. Bactéries et virus aussi peuvent faire la pluie et le beau temps. Voyez donc en moi votre sauveur plutôt que votre fossoyeur. Libre à vous de ne pas me croire, mais je suis venu mettre à l’arrêt la machine dont vous ne trouviez pas le frein d’urgence. Je suis venu suspendre le fonctionnement dont vous étiez les otages. Je suis venu manifester l’aberration de la « normalité ». « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie à d’autres était une folie »… « Il n’y a pas de limite budgétaire, la santé n’a pas de prix » : voyez comme je fais fourcher la langue et l’esprit de vos gouvernants ! Voyez comme je vous les ramène à leur rang réel de misérables margoulins, et arrogants avec ça ! Voyez comme ils se dénoncent soudain non seulement comme superflus, mais comme nuisibles ! Vous n’êtes pour eux que les supports de la reproduction de leur système, soit moins encore que des esclaves. Même le plancton est mieux traité que vous.

Gardez-vous bien, cependant, de les accabler de reproches, d’incriminer leurs insuffisances. Les accuser d’incurie, c’est encore leur prêter plus qu’ils ne méritent. Demandez-vous plutôt comment vous avez pu trouver si confortable de vous laisser gouverner. Vanter les mérites de l’option chinoise contre l’option britannique, de la solution impériale-légiste contre la méthode darwiniste-libérale, c’est ne rien comprendre à l’une comme à l’autre, à l’horreur de l’une comme à l’horreur de l’autre. Depuis Quesnay, les « libéraux » ont toujours lorgné avec envie sur l’empire chinois ; et ils continuent. Ceux-là sont frères siamois. Que l’un vous confine dans votre intérêt et l’autre dans celui de « la société », revient toujours à écraser la seule conduite non nihiliste : prendre soin de soi, de ceux que l’on aime et de ce que l’on aime dans ceux que l’on ne connaît pas. Ne laissez pas ceux qui vous ont menés au gouffre prétendre vous en sortir : ils ne feront que vous préparer un enfer plus perfectionné, une tombe plus profonde encore. Le jour où ils le pourront, ils feront patrouiller l’armée dans l’au-delà.

Remerciez-moi plutôt. Sans moi, combien de temps encore aurait-on fait passer pour nécessaires toutes ces choses inquestionnables et dont on décrète soudain la suspension ? La mondialisation, les concours, le trafic aérien, les limites budgétaires, les élections, le spectacle des compétitions sportives, Disneyland, les salles de fitness, la plupart des commerces, l’assemblée nationale, l’encasernement scolaire, les rassemblements de masse, l’essentiel des emplois de bureau, toute cette sociabilité ivre qui n’est que le revers de la solitude angoissée des monades métropolitaines : tout cela était donc sans nécessité, une fois que se manifeste l’état de nécessité. Remerciez-moi de l’épreuve de vérité des semaines prochaines : vous allez enfin habiter votre propre vie, sans les mille échappatoires qui, bon an mal an, font tenir l’intenable. Sans vous en rendre compte, vous n’aviez jamais emménagé dans votre propre existence. Vous étiez parmi les cartons, et vous ne le saviez pas. Vous allez désormais vivre avec vos proches. Vous allez habiter chez vous. Vous allez cesser d’être en transit vers la mort. Vous haïrez peut-être votre mari. Vous gerberez peut-être vos enfants. Peut-être l’envie vous prendra-t-elle de faire sauter le décor de votre vie quotidienne. A dire vrai, vous n’étiez plus au monde, dans ces métropoles de la séparation. Votre monde n’était plus vivable en aucun de ses points qu’à la condition de fuir sans cesse. Il fallait s’étourdir de mouvement et de distractions tant la hideur avait gagné de présence. Et le fantomatique régnait entre les êtres. Tout était devenu tellement efficace que rien n’avait plus de sens. Remerciez-moi pour tout cela, et bienvenue sur terre !

Grâce à moi, pour un temps indéfini, vous ne travaillerez plus, vos enfants n’iront pas à l’école, et pourtant ce sera tout le contraire des vacances. Les vacances sont cet espace qu’il faut meubler à tout prix en attendant le retour prévu du travail. Mais là, ce qui s’ouvre devant vous, grâce à moi, ce n’est pas un espace délimité, c’est une immense béance. Je vous désoeuvre. Rien ne vous dit que le non-monde d’avant reviendra. Toute cette absurdité rentable va peut-être cesser. A force de n’être pas payé, quoi de plus naturel que de ne plus payer son loyer ? Pourquoi verserait-il encore ses traites à la banque, celui qui ne peut de toute façon plus travailler ? N’est-il pas suicidaire, à la fin, de vivre là où l’on ne peut même pas cultiver un jardin ? Qui n’a plus d’argent ne va pas s’arrêter de manger pour autant, et qui a le fer a le pain. Remerciez-moi : je vous place au pied de la bifurcation qui structurait tacitement vos existences : l’économie ou la vie. C’est à vous de jouer. L’enjeu est historique. Soit les gouvernants vous imposent leur état d’exception, soit vous inventez le vôtre. Soit vous vous attachez aux vérités qui se font jour, soit vous mettez la tête sur le billot. Soit vous employez le temps que je vous donne maintenant pour figurer le monde d’après à partir des leçons de l’effondrement en cours, soit celui-ci achèvera de se radicaliser. Le désastre cesse quand cesse l’économie. L’économie est le ravage. C’était une thèse avant le mois dernier. C’est maintenant un fait. Nul ne peut ignorer ce qu’il faudra de police, de surveillance, de propagande, de logistique et de télétravail pour le refouler.

Face à moi, ne cédez ni à la panique ni au déni. Ne cédez pas aux hystéries biopolitiques. Les semaines qui viennent vont être terribles, accablantes, cruelles. Les portes de la Mort seront grand’ouvertes. Je suis la plus ravageuse production du ravage de la production. Je viens rendre au néant les nihilistes. Jamais l’injustice de ce monde ne sera plus criante. C’est une civilisation, et non vous, que je viens enterrer. Ceux qui veulent vivre devront se faire des habitudes nouvelles, et qui leur seront propres. M’éviter sera l’occasion de cette réinvention, de ce nouvel art des distances. L’art de se saluer, en quoi certains étaient assez bigleux pour voir la forme même de l’institution, n’obéira bientôt plus à aucune étiquette. Il signera les êtres. Ne faites pas cela « pour les autres », pour « la population » ou pour « la société », faites cela pour les vôtres. Prenez soin de vos amis et de vos amours. Repensez avec eux, souverainement, une forme juste de la vie. Faites des clusters de vie bonne, étendez-les, et je ne pourrai rien contre vous. Ceci est un appel non au retour massif de la discipline, mais de l’attention. Non à la fin de toute insouciance, mais de toute négligence. Quelle autre façon me restait-il pour vous rappeler que le salut est dans chaque geste  ? Que tout est dans l’infime.

J’ai dû me rendre à l’évidence : l’humanité ne se pose que les questions qu’elle ne peut plus ne pas se poser.

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28 mars 2017 2 28 /03 /mars /2017 13:01

Par Samah Jabr — 24 mars 2017

 

 

De ceux qui sont prêts à légitimer le meurtre et la torture de la Palestine en soutien à l’occupation israélienne, il faut seulement s’attendre à ce qu’ils inventent des mensonges et de fausses accusations pour intimider leurs adversaires.

 

Ma dernière rencontre avec le sionisme international a eu lieu à Paris, le 10 mars, après la projection du film documentaire « Derrière les Fronts »[*] au cinéma des Trois Luxembourg. J’y étais pour participer au débat qui suit la projection du film dans la mesure où j’apparais de façon très visible dans le film lui-même. Mais, aussitôt après que l’un des spectateurs a posé une question, réelle et sincère, sur les psychopathologies que je rencontre en tant que praticienne en Palestine, un ami d’Israël s’est emparé du micro, saisissant l’occasion pour faire un long discours, haineux et chauvin, sur la « paranoïa des Palestiniens » et « la violence et le racisme naturels des Arabes », jusqu’à ce que, finalement, le public ne puisse plus tolérer sa diatribe et que monte un vif tollé général exigeant qu’il laisse s’exprimer quelqu’un d’autre.

 

Bloquer le débat public

Le nom, le sexe, la couleur, la religion et l’aspect de cette personne sont moins importants que son rôle : arriver à tout moment et en tout lieu possibles pour une activité qui reconnaît les Palestiniens et les montre comme défendant leurs droits. « Lui », je l’avais déjà rencontré d’innombrables fois dans le passé – quand je suis intervenue comme étudiante à l’université Saint Peters à New York il y a des années, quand je suis intervenue parmi les professionnels à l’« Évènement spécial de l’Espace de pensée » de la Tavistock and Portman NHS Foundation Trust à Londres, après la guerre de 2014 contre Gaza, et aujourd’hui au cinéma, à Paris.

 

Son rôle est d’occuper le temps consacré au débat public afin d’empêcher que n’ait lieu une discussion sérieuse, d’intimider les orateurs et le public par son attitude agressive et accusatrice, et de profiter de l’occasion pour diffamer et pour menacer les orateurs et les personnes chargées de l’organisation de cette activité qui reconnaît l’expérience palestinienne.

 

Actuellement, nous voyons bien qu’Israël se hâte d’inventer de nouvelles lois pour criminaliser et punir celles et ceux qui s’impliquent dans le BDS et qui mettent en avant les actions illégales, honteuses, d’Israël. Rien qu’en l’espace de ces derniers jours, Israël a expulsé Hugh Lanning, le président de la Campagne Solidarité Palestine pour son implication dans la critique d’Israël, et il a arrêté Kahlil Tufakji, le directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme (le PCHR), un expert en cartographie et colonisation.

 

Une liberté menacée

Pendant ce temps, les amis d’Israël en Europe et aux USA agissent, « plus royalistes que le roi », s’occupant des Palestiniens et de leurs amis internationaux, les cataloguant, tissant des mensonges pour salir leurs réputations, et les attaquant dans leurs moyens de subsistance. Partout, la puissante matraque d’Israël est brandie pour menacer quiconque ose critiquer l’occupation ou se mobiliser dans une action non violente pour aborder les violations des droits de l’homme en Palestine.

 

J’ai des amis qui ont reçu des menaces contre leur vie parce qu’ils sont impliqués dans un soutien aux droits des Palestiniens. Il faut se demander quel recours est laissé aux Palestiniens quand la diplomatie échoue et quand l’action non violente est criminalisée – poser cette question n’est pas encourager la violence, c’est observer la façon dont les partisans du sionisme, tout en bloquant toutes les voies possibles pour une réponse publique non violente, s’impliquent eux-mêmes dans les épisodes de violence qui suivent.

 

Dans ce contexte, le monopolisateur du microphone dans ce cinéma a, délibérément, fait la fausse déclaration que la projection de ce film avait été organisée dans le cadre de la « Semaine contre l’apartheid d’Israël ». Il porte l’accusation absurde que tant moi-même que la réalisatrice du film serions des agents du terrorisme et, ce faisant, il met en danger nos carrières, notre liberté personnelle et notre sécurité physique. Il affirme en outre le mensonge incendiaire et colossal que j’identifierais les civils israéliens comme des cibles légitimes de la résistance armée !

 

Enfin, il admet trouver le film « incompréhensible » ! Peut-être parce que dans sa conscience et dans son esprit, persiste cette contre-vérité usée jusqu’à la corde : que les Palestiniens « n’existent pas – où sont les Palestiniens ? ». Mais le film donne une vie et une présence indéniables aux Palestiniens dans leur merveilleuse diversité : l’archevêque Atallah Hannah, le détenu gréviste de la faim Sheikh Khader Adnan, la directrice de l’organisation queer « Aswat », un professeur universitaire, Dr. Abaher Al Saqqa, un autre universitaire, l’ancienne prisonnière universitaire Rula Abu Dahho, et Demma Zalloum, cette jeune mère qui sauva son enfant de l’enlèvement par les colons ; tous ces Palestiniens se joignent à moi pour vous transmettre ce message commun : nous continuerons de partager nos divers témoignages sur l’occupation, quelles que soient les forces utilisées pour briser les tissus de la solidarité palestinienne. Nous renforcerons nos mises en réseau avec celles et ceux qui défendent la justice, et nous tendrons nos mains aux vrais amis de la Palestine.

 

Samah Jabr | 16 mars 2017 – Middle East Monitor

Samah Jabr est psychiatre et psychothérapeute à Jérusalem. Elle milite pour le bien-être de sa communauté, allant au-delà des problèmes de santé mentale. Elle écrit régulièrement sur la santé mentale en Palestine occupée.

Traduction : JPP pour les Amis de Jayyous

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31 octobre 2016 1 31 /10 /octobre /2016 17:29
Par Avigail Abarbanel

mercredi 26 octobre 2016, repris sur Comité Valmy

 

 

Cher Israël et chers juifs israéliens,

Il est probable que vous écrire soit inutile et, d’ailleurs, je n’attends pas de réponse de votre part. J’écris par une sorte de sens du devoir. Après tout, je viens de chez vous alors, peut être, quelques uns pourraient m’écouter, être curieux, prendre un risque et examiner ce qui vous est impensable.

Je suis partie depuis ce qui me semble être une éternité, vingt-cinq ans. Je ne pense pas que vous ayez beaucoup changé depuis, sauf peut-être pour le pire. Les psychologies comme la vôtre ont la mauvaise habitude de s’aggraver si elles ne sont pas soignées. Je me souviens toujours de vous comme de gens durs, sur la défensive, chauds du collier et prêts à exploser à chaque occasion, bruyants et impitoyables. Vous aviez des moments de calme et peut-être même de bonté, mais ils étaient réservés à ceux qui vivaient dans des endroits plus verts et agréables, et qui avaient plus d’argent que nous n’en avions.

 

Avigail Abarbanel enfant en Israël

 

J’ai grandi à Bat-Yam et c’était terrible là bas. Un amas dense de béton, bruyant et immense ; des blocs résidentiels faits d’appartements aux murs très fins, à perte de vue, séparés par des routes bitumées. Ce n’est pas l’image que vous aimez montrer au reste du monde, et cela ne correspond pas à ce que le reste du monde pense de vous. J’ai grandi rue Hashikma. Quelle cruelle plaisanterie c’était, nommer ce monstrueux dessert de béton, Hashikma… Le sycomore. Il n’y avait aucun arbre là bas. Dans mon enfance, je n’avais aucune idée de ce que pouvait être un sycomore. Quel que soient les gens qui ont fait cela, pensaient-ils qu’en nommant la rue « sycomore », cela allait rendre les choses plus faciles pour ceux qui y habitaient ? Pensaient-ils pouvoir nous tromper et nous

              

faire penser que c’était plus idyllique que cela ne l’était en réalité ? Cela ne faisait que provoquer embêtements et tourments. Le nom de ma rue me faisait penser à quelque chose auquel je n’avais pas accès et que je ne pensais pas pouvoir atteindre.

Cette dichotomie entre le nom de l’endroit et sa réalité est un symbole de votre existence. Là bas, on ne diffère pas beaucoup des autres quartiers populaires du monde entier, mais on m’a toujours dit que nous étions différents des autres. Nous étions spéciaux, nous étions meilleurs, nous étions plus moraux, plus éthiques et plus civilisés. Et ne me dites pas que vous ne l’avez pas dit. J’en m’en souviens parfaitement ! J’étais très attentive à l’école.

Mais dans mon esprit d’enfant, je ressentais qu’en fait nous n’étions pas si spéciaux que cela. Je pense que beaucoup d’enfants ayant souffert d’avoir été abusés dans leur propre famille, aux mains de leur propre peuple, doutent de leur groupe. Si vous m’aviez plus protégée, peut-être serais-je toujours parmi vous. Mais vous ne pouviez pas me protéger, ni les autres enfants, précisément parce que vous n’êtes pas ce que vous dites, un peuple plus éveillé et plus éthique. Vous n’êtes qu’un groupe d’humains avec des dons et des faiblesses, et plein de lâchetés, comme tout autre groupe. Vous ne différez pas des autres sociétés humaines qui permettent et cachent des crimes contre leurs propres enfants et qui faillissent à la protection des plus vulnérables d’entre eux.

Quelques années après vous avoir quitté, j’ai petit à petit réalisé que j’étais semblable à tous ceux qui suivent un culte. Cela a été un choc pour moi mais, en regardant en arrière, je me demande comment je ne l’avais pas réalisé plus tôt. Bien sûr, les gens pris dans un culte voient rarement où ils en sont. S’ils le pouvaient, les cultes ne seraient pas ce qu’ils sont. Ils pensent être les membres d’un groupe spécial, ayant un destin spécial, et toujours sous une menace. La survie du culte étant toujours le principe le plus important. On enseigne aux membres d’un culte, depuis leur naissance, que le monde extérieur est dangereux, qu’ils doivent se regrouper pour leur sécurité.

À ce moment de la discussion, vous allez sûrement me dire que, culte ou pas culte, tout cela est totalement justifié. Aurais-je oublié l’Holocauste ? Bien sûr que non. La persécution du peuple juif a travers l’Histoire est bien une réalité. Quelle que soit l’identité juive, les juifs étaient un groupe haï et rejeté parmi les autres cultures européennes et les Juifs ont toujours eu une coexistence difficile avec les non-juifs. Tout groupe marginalisé ou persécuté entretient une relation difficile avec la culture dominante. Une fois que vous avez été discriminé, il est difficile de faire confiance.

Mais deux choses importantes me gênent à votre sujet. D’abord, cette histoire de persécution est tellement rattachée à votre identité que vous ne pouvez pas voir au delà. Vous semblez tous être totalement pris dedans, sauf une très petite minorité qui peut voir le sionisme pour ce qu’il est. Quiconque ayant subi un traumatisme tend à se sentir différent et séparé. La psychologie humaine veut qu’une fois que vous avez été abusé, vous vous sentiez différent des autres. Mais toute personne ayant été abusée et traumatisée se doit de guérir et de ne pas permettre à la peur et au sentiment de victimisation de devenir son identité. Ceux comme nous qui avons été traumatisés et abusés ont ce devoir, car s’ils ne guérissent pas, alors nous nous faisons du mal à nous-mêmes et aux autres. C’est là où vous en êtes et c’est ce que vous faites. Vous n’avez pas seulement permis au traumatisme de devenir votre identité intime, vous l’avez glorifié et vous le vénérez comme un dieu.

Le deuxième et plus important sujet qui m’ennuie est le crime que vous avez commis et que vous continuez de commettre au nom de « notre » survie. Vous vouliez une solution à la persécution de votre groupe et c’est justement là que réside le problème. Vous avez décidé de créer un ghetto que vous pensiez comme un havre de paix, alors que la terre était déjà bien occupée. Vous êtes venus et vous l’avez prise, avez perpétué un nettoyage ethnique et vous continuez encore à le faire. Je sais que vous n’aurez pas considéré votre mission comme accomplie avant que vous n’ayez toute la terre, sans son peuple.

Vous êtes le produit d’une colonie de peuplement, un État créé par le déplacement et l’élimination du peuple qui vivait sur cette terre avant vous. La relation que vous entretenez avec vos victimes, les Palestiniens, a toutes les caractéristiques d’une relation entre des colons et ceux qu’ils souhaitent éliminer de leur existence. Les colons ne font pas que retirer un peuple de sa terre, ils effacent leurs endroits historiques, leur monuments, les preuves de leur histoire, matérielles et orales, toute trace de leur existence… S’il n’y a plus de victimes, il n’y a plus de crimes. Si le territoire est nettoyé de toute trace culturelle du peuple qui vivait ici, il devient libre d’être occupé par un nouveau peuple.

Je sais ce que c’est que d’être aveugle au fait d’être un colon, d’être un peuple qui commet un crime terrible. Vous ne pouvez pas vous voir comme les « méchants » ici. Vous êtes tellement enfoncés dans votre propre mythe, que vous avez toujours été et serez toujours la victime la plus tragique de l’Histoire de l’humanité. J’étais quelqu’un comme vous, à l’époque, et je sais qu’il vous est pratiquement impossible de voir au-delà de votre raisonnement : « Nous voulons seulement retrouver nos terres ancestrales. Nous voulons seulement rester en paix entre nous. Qu’y-a-t-il de mal à cela ? Pourquoi est-ce que les autres ne nous laissent pas vivre en paix ? ».

Il y a un puissant champ magnétique, une sorte de cage d’acier en vous, qui protège vos croyances de la vérité, de la réalité. Vous ne niez pas être « revenus » et vous être installés sur cette terre, vous ne pouvez tout simplement pas envisager ce que cela veut dire. Alors laissez-moi-vous le dire encore une fois. Quand un groupe de gens arrive sur un territoire (quelle qu’en soit la raison), élimine le peuple indigène et accapare ses terres et ses ressources, cela s’appelle de la colonisation. La colonisation de peuplement est immorale, un crime contre l’humanité. Les victimes ne s’en vont pas toujours silencieusement dans la nuit, alors les crimes doivent continuer à être commis, jusqu’à ce que la résistance des victimes soit écrasée et qu’ils disparaissent de la vue et de la mémoire. Il n’y a rien d’original ni de spécial dans ce que vous êtes, ni dans ce que vous faites. Vous êtes comme tous les colons avant vous. Même votre capacité à l’auto-illusion ou à illusionner les autres n’a rien de spécial. Cela a déjà été fait avant. Vous n’avez vraiment rien de spécial, du tout.

Admettons que vous soyez « rentrés à la maison », comme votre mythe le dit, que la Palestine ait été votre terre ancestrale. Mais la Palestine était déjà totalement occupée quand vous avez commencé à lorgner dessus. Pour la prendre, vous avez suivi à la lettre l’ordre biblique donné à Joshua de pénétrer et de tout prendre. Vous avez tué, vous avez expulsé, violé, volé, brûlé et tout détruit, et vous avez remplacé la population par votre propre peuple. On m’a toujours appris que le mouvement sioniste était essentiellement non religieux (comment pouvoir être juif sans religion juive me rend perplexe). Pour un mouvement soi-disant non religieux, c’est extraordinaire comment le sionisme – votre créateur et votre identité – a suivi la Bible de près. Bien sûr, vous n’osez jamais critiquer les histoires bibliques, même les plus laïcs d’entre vous. Aucun des bons professeurs de mon école laïque n’a jamais suggéré de mettre en question la moralité de ce que Joshua avait fait. Si nous étions capables de remettre cela en question, l’étape logique suivante serait de remettre en question le sionisme, ses crimes, et la droiture de notre existence dans notre État. Non, nous n’étions pas autorisés à aller si loin. Cela aurait fragilisé la structure déjà fragile qui nous maintient.

Donc, comme dans tout culte ayant déjà existé et ceux qui, sans aucun doute, continueront d’être créés, vous vivez dans un aveuglement auto-imposé. Vous créez et recréez une image de la réalité remplie de trous, mais vous vous sentez très bien comme cela. La possibilité de remplir ces trous vous met face à vos terreurs mortelles, votre peur morbide de l’anéantissement. Et vous ne pouvez pas le supporter. Je sais ce que l’anéantissement veut dire pour vous. Cela ne veut pas dire seulement être tué. L’anéantissement veut dire que le peuple juif, la judaïté elle-même, n’existerait plus. Pour vous, « assimilation » veut dire aussi anéantissement. Ils nous ont appris cela à l’école. On nous a enseigné que l’assimilation était à rejeter, de la lâcheté, de la trahison de notre peuple. Si des juifs se marient avec des non-juifs dans leurs pays et quand toute trace de judaïté, quelle qu’elle soit, se dilue, vous vous inquiétez. Vous pensez que c’est la fin. Parce qu’il n’y a pas d’individus, seulement le groupe, et quand le groupe va bien alors les individus vont bien. Vous prenez alors toute menace contre le groupe comme une menace personnelle. C’est pourquoi vous criez à l’antisémitisme si rapidement et par réflexe, dès que vous percevez la moindre menace envers votre culte nationaliste.

J’ai abandonné le culte parce que je voulais découvrir qui j’étais vraiment. J’ai refusé que le seul objet de ma vie soit de défendre le culte et de lui permettre de continuer. C’est humain, c’est mammifère de laisser son identité être possédée par le groupe, mais cela ne fait pas une vie heureuse. Nous avons survécu en tant que mammifères, en partie parce nous avons vécu en groupe. Sans le groupe autour d’eux, nos ancêtres seraient probablement morts dans ce monde difficile où ils vivaient. Votre psychologie n’est rien de plus que la psychologie du temps des cavernes et cela ne concerne pas que vous. Mais nous sommes une espèce qui a la capacité de faire bien mieux. Dans le monde actuel, notre survie dépend de notre capacité à transcender nos instincts animaux. Nous pouvons développer et utiliser la partie morale et éthique de notre cerveau, cette partie qui nous permet conscience de soi et empathie, cette partie qui peut prendre la responsabilité de ses propres péchés et crimes et qui peut faire pénitence. Ce qui va nous sauver n’est plus de rester dans notre petit groupe mais de se rassembler en tant qu’une seule espèce, l’espèce humaine. Allez, abandonnez le culte et la mentalité de ghetto et rejoignez la race humaine, faites la bonne chose. Vous voulez vraiment être spécial, remplir une destinée spéciale ? Par tous les moyens ! Alors ouvrez le chemin à l’éveil en admettant, en vous repentant et en transformant votre identité en quelque chose de sain et de positif. Montrez ce qui peut se passer lorsqu’on n’est plus que de simples mammifères apeurés.

Je ne m’attends pas à ce que vous m’entendiez ou à ce que vous voyiez ce que vous ne pouvez pas voir. Vous êtes des experts en endoctrinement et êtes trop enfoncés dans votre vision de la réalité basée sur la peur. Vous me décevez beaucoup. C’est pourquoi je soutiens le BDS contre vous. Si vous ne voulez pas vous arrêter de vous même, quelqu’un doit le faire pour vous.

.

Avigail Abarbanel
– Le 8 octobre 2016

– Source Mondoweiss

Traduction : le Saker Francophone.

Avigail Abarbanel est née et a été élevée en Israël. Elle a déménagé pour l’Australie en 1991 et vit maintenant au nord de l’Écosse. Elle travaille comme psychothérapeute et milite pour les droits des Palestiniens. Elle a édité Au-delà des loyautés tribales : histoires personnelles des activistes juifs pour la paix (Beyond Tribal Loyalties : Personal Stories of Jewish Peace Activists, Cambridge Scholars Publishing).

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27 octobre 2016 4 27 /10 /octobre /2016 17:08

Par Michel Raimbaud

Origine : http://www.afrique-asie.fr

 

En ces temps troublés, la « communauté internationale » - nom de scène des trois Occidentaux qui se piquent d’être les maîtres de droit divin de notre planète - semble perdre les pédales. Voilà donc nos larrons en quête de nouvelles aventures. 

 

Comme d’habitude, l’Amérique, cette nation qui se croit indispensable et dispense aux quatre coins de l’univers ses leçons de morale, de démocratie et de droits de l’homme en faisant oublier qu’elle doit son existence au génocide des amérindiens et sa prospérité actuelle au pillage du monde considéré comme une arrière-cour, donne le ton. Ses sbires, les ci-devant « grandes puissances européennes », qui se plaisent à jouer aux gros poissons dans les petites mares, ne sont pas en reste…Ayant remis les pendules à l’heure avec son Brexit et lancée dans le compte à rebours d’un Scotxit, la perfide Albion peut s’investir à fond dans son rôle traditionnel de cheval de Troie de l’Amérique. Pour sa part, notre « grande nation », qui fait tout pour ne plus l’être, se distingue par son arrogance ordinaire, sa prétention anachronique et le naufrage de sa diplomatie.

 

Nos fanfan-la-tulipe, nos malbroughsmironton-mirontaine,nos lafayette-nous-voilà, prennent de grands airs de chefs de guerre qui nous feraient rire si leurs desseins n’étaient pas aussi sinistres : appeler à envoyer « à six pieds sous terre »Bachar Al Assad, s’acharner à peaufiner la mise à mort du peuple syrien et à détruire la vieille terre qui fut la matrice de notre civilisation, de nos religions et de notre alphabet ne sont pas des objectifs dignes d’un pays à l’histoire prestigieuse, qui se réclame si volontiers des « lumières ». Enchaîner les provocations et les incidents diplomatiques en pensant humilier ou braver ce Vladimir Poutine qui tient tête à l’Amérique, divinité révérée par nos élites, est du plus haut ridicule.

 

La diplomatie française est disqualifiée, marginalisée, ignorée, y compris par ses maîtres de Washington

Dans la posture qui est la sienne depuis son retour au « bercail atlantique », la France a perdu sa crédibilité, son prestige et le respect des pays qui jadis la trouvaient « juste même lorsqu’elle est injuste ». La diplomatie française est disqualifiée, marginalisée, ignorée, y compris par ses maîtres de Washington,au point d’être tenue à l’écart des grands dossiers et évincée des négociations décisives, tant est évidente sa capacité de nuisance. 

 

Certes, nous rétorquera-t-on, la France a encore des alliés stratégiques qu’elle choisit apparemment selon des critères inovants. Certains de ces critères tiennent à des affinités profondes avec nos valeurs traditionnelles (droits de l’homme, condition de la femme, respect des travailleurs immigrés, tolérance religieuse, démocratie, libertés…), d’autres sont inspirés par une complémentarité naturelle (ils ont du pétrole et des dollars, nous avons des idées et surtout des besoins d’argent frais), d’autres enfin sont en relation avec des facteurs auxquels on ne s’attendrait pas, à savoir la proximité avec des terroristes « modérés » et des « démocrates » djihadistes: c’est ainsi qu’après l’heure du Qatar (merci pour ce moment)et une brève idylle avec Erdogan le Maléfique(gâchée par le souvenir d’un génocide),nous vivons « l’instant saoudien », avec une farandole de princes et d’émirs comme s’il en pleuvait, des promesses de contrats mirifiques, une  «identité de vues totale »propice à tous les mauvais coups. Si Paris valait bien une messe, Riyad vaut bien quelques promesses voire quelques compromissions : la distance nous sépare, mais la volonté de détruire la Syrie et de« neutraliser » Bachar al Assad nous unit…

 

Il y a quelque chose de pourri au royaume des grandes démocraties 

Le déferlement d’inepties, de mensonges, de trucages, de faux pavillons, de références en trompe-l’œil devrait interpeller quelque part nos élites ployant sous le fardeau de leur « mission civilisatrice et bombardière ». Hélas, nous avons beau tendre l’oreille, c’est à peu de choses près le silence radio. N’y aurait-il pas quelque chose de pourri au royaume des grandes démocraties ? N’y aurait-il pas un maillon manquant dans cette sainte trinité occidentale où l’on cherche en vain l’esprit sain qui pourrait inspirer le père anglo-américain et le fils franco-européen.

 

S’il n’y avait que les déclarations martiales, les contre-vérités flagrantes, les mensonges sans vergogne, les imprécations sans foi ni loi, cene serait que le énième tableau de lamauvaise série B que les médias, intellectuels et politiques, de gauche, de droite et du milieu, déversent depuis plusieurs années sur le bon peuple français qui en a vu, entendu et gobé bien d’autres. C’est agaçant et ignoble, c’est inquiétant, mais on s’y fait. L’important n’est pas la rose ou même le rouge au front, c’est de voter, quitte à choisir le plus beau, le plus hâbleur, le plus menteur, le plus martial ou le plus bête…Les campagnes électorales débutantes ou finissantes en témoignent : l’Amérique devra choisir entre la prévisible harpie, Hillary, l’égérie des néocons, faucons et autres variétés du « parti de la guerre », et l’imprévisible Trump, qui a annoncé la couleur.

 

Pour l’instant, il est particulièrement angoissant d’entendre, au sein de ce temple de la diplomatie que devrait être le Conseil de Sécurité,vociférer les mégères et les gorgones qui ont investi la diplomatie US et s’égosiller les diplomates aux longs doigts et aux costumes gris à rayures verticales des « grandes diplomaties », toutes et tous à l’unisson pour répercuter vers les quatre coins de la planète le courroux denos bons maîtres chahutés par l’Histoire.

 

Laréuniondu Conseil consacrée à la Syrie, tenue le dimanche 25 septembre 2016, devrait rester inscrite aux annales de l’arrogance et de la perfidie. Grâce soit rendue aux chevaliers de l’Axe du Bien comme Samantha Power, égérie des néo conservateurs américains, au ministre anglais des affaires étrangères,qui doit sa promotion ahurie au Brexit, et au représentant français au Conseil de Sécurité, relayés de près ou de loin par les Kerry, Ayrault et consorts, le spectacle était prometteur et n’a pas déçu, qu’il s’agisse de la richesse des pauvres réparties, de la majesté du style oratoire, de la haute tenue morale des contre-vérités et acrobaties de langage ( parler sans filet est un exercice de haute volée).

 

De réunion en réunion, le spectacle continue, sans cesse renouvelé comme les vagues de la mer, dans une ambiance de tragédie : ceux qui veulent libérer les habitants d’Alep de la sauvagerie terroriste sont des criminels de guerre passibles de la Cour Pénale Internationale, ceux qui financent et protègent les dits terroristes sont des héros à casques blancs passibles du Nobel de la Paix. C’est beau la dialectique et comprenne qui pourra…  

 

Ban et le sacre de Dame bêtise…  

Pour couronner le sacre de Dame bêtise, nous avons droit à la prestation de Ban. Ce falot personnage, qui s’apprête à nous quitter après avoir brillé par sa servilité, a bien mérité de la patrie (américaine) : il n’aura pas eu besoin de fermer l’électricité derrière lui tant l’obscurité était déjà profonde au Secrétariat Général des Nations Unies, mais il n’aura pas attendu d’avoir rendu sa livrée pour tenir un discours qui, tranchant avec la banalité habituelle de ses propos, témoignait de sa perfidie et de son allégeance au dieu Amérique, accablant l’Etat syrien de ses affirmations mensongères et de ses accusations frelatées.

 

Bref, nous avons droit à une mobilisation générale du ban et de l’arrière-ban de la « communauté internationale » occidentale mobilisée au service des terroristes et de leurs parrains, dans un déferlement de haine et de bassesse qui sied mal à l’ambiance feutrée des instances diplomatiques. Tout ce beau monde, à coup d’effets de manches, de tirades grandiloquentes et patelines, de sorties collectives théâtrales, veut faire croire qu’il essaie de sauver le droit international que depuis vingt-cinq ans les maîtres impériaux de la planète ont dévasté. Est-ce parce qu’ils sont tombés sur la tête qu’ilsvoient le monde à l’envers ? En tout cas, menteurs ils sont, menteurs ils resteront !

 

Pour la France, quel gâchis d’avoir mis un point d’honneur à se complaire dans le déshonneur. Injuste, immorale, suicidaire, la diplomatie française est devenue  si stupide qu’elle nous fait parfois désespérer. Tout se passe comme si nos élites avaient jeté aux orties l’héritage national, les références, les valeurs, les convictions qui nourrissent une politique étrangère digne d’un grand pays…La France n’avait pas de pétrole ; voilà qu’elle semble n’avoir plus d’idées, sa diplomatie en étant réduite à racler dans les tiroirs pour proposer des trucs de concours Lépine. Il ne sera pas dit que l’aménagement de notre diplomatie  est  un aménagement de cuisine : « Lapeyre, y en a pas deux », dit le slogan, mais les ambassadeurs, il pourra y en avoir deux, comme les Croates vont en faire l’expérience. Panne de courant ? Couvre-feu de la pensée ? C’est en tout cas dans une obscurité de mauvais aloi qu’est plongée la « terre des lumières ».Et pour l’instant, il reste bien caché, l’homme d’Etat qui réussira à lui redonner sa place au soleil, levant de préférence.

Pourtant le temps presse : comme l’écrivait Paul Valéry, « le vent se lève et il faut tenter de vivre »...   

 

*Michel Raimbaud est ancien ambassadeur français, écrivain et essayiste. Dernier livre paru : « Tempête sur le Grand Moyen-Orient » chez Ellipse, Paris

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19 octobre 2016 3 19 /10 /octobre /2016 17:02

Par Andre Vltchek

Mondialisation.ca, 15 octobre 2016

 

Il est difficile de lutter contre toute guerre réelle. Et cela exige de vraies tripes, de la discipline et de la détermination pour la gagner. Pendant des années et des décennies, la soi-disant «gauche» en Occident a été modérément critique à l’égard de l’impérialisme et du colonialisme nord-américain (et parfois même de l’européen). Mais chaque fois qu’un individu ou un pays se levait et commençait ouvertement à défier l’Empire, la plupart des intellectuels de gauche occidentaux fermaient tout simplement les yeux et refusaient d’offrir leur soutien total et inconditionnel à ceux qui mettaient leurs vies (et même l’existence de leurs pays) en jeu.

 

Je n’oublierai jamais toutes ces piques insultantes dirigées contre Hugo Chávez, des pointes venant de la «gauche anti-communiste» après qu’il eut osé insulter George W. Bush aux Nations unies 2006, le traitant de «diable» et suffoquant, théâtralement, à cause du soufre qui «imprégnait l’air» après l’apparition du président des États-Unis à l’Assemblée générale.

 

Je ne révélerai pas de noms ici, mais les lecteurs seraient surpris s’ils savaient combien de ces dirigeants emblématiques de la gauche américaine décrivaient Chávez et son discours comme «malpoli», «contre-productif»et même «insultant».

 

Des dizaines de millions de gens sont morts à cause de l’impérialisme occidental après la Seconde Guerre mondiale. Sous la direction épouvantable de George W. Bush, l’Afghanistan, l’Irak ont été réduits en ruines… Mais on doit rester «poli»,«objectif» et garder la tête froide ?

 

Eh bien, ce n’est pas comme ça que les véritables révolutions ont été déclenchées. Ce n’est pas comme ça que les guerres réussies contre le colonialisme sont menées. Lorsque la vraie bataille commence, la «politesse» est en effet inacceptable, tout simplement parce que les masses opprimées sont infiniment exaspérées et qu’elles veulent que leurs sentiments soient enregistrés et exprimés par leurs dirigeants. Même la recherche de l’«objectivité»est souvent déplacée, lorsque des révolutions encore fragiles doivent affronter toute l’énorme propagande hostile du régime – de l’Empire.

 

Mais la question est celle-ci : est-ce que la plupart des gens de gauche en Occident soutiennent vraiment les révolutions et les luttes anti-colonialistes du monde opprimé ?

 

Je crois que non. Et c’est clairement visible à la lecture de la plupart des soi-disant médias alternatifs, tant en Amérique du Nord qu’en Europe.

 

Celui qui se lève, celui qui mène son pays à la bataille contre la dictature mondiale de l’Occident est presque immédiatement défini comme un démagogue. Il ou elle est très probablement baptisé comme «non démocratique»,et pas seulement par les médias de masse et «libéraux», mais aussi dans les pages de la soi-disant presse occidentale «alternative» et «progressiste». Pas tous, mais certains, et franchement : la plus grande partie !

 

Chavez a en effet reçu très peu de soutien des intellectuels «de gauche» occidentaux. Et maintenant, alors que le Venezuela saigne, la République bolivariennene peut compter que sur une poignée de pays latino-américains révolutionnaires, ainsi que sur la Chine, l’Iran et la Russie ; définitivement pas sur la solidarité solide, organisée et militante des pays occidentaux.

 

Cuba a reçu encore moins de soutien que le Venezuela. Après la chute de l’Union soviétique, la gauche européenne n’a fait aucune tentative, en effet, pour sauver cette nation héroïque. C’est la Chine, à la fin, qui a couru à son secours et a sauvé le socialisme cubain (lorsque j’ai écrit à ce sujet, des centaines de gauchistes occidentaux m’ont sauté à la gorge et à la fin, il a fallu que Fidel confirme ce que je disais, dans ses Réflexions, pour qu’ils me lâchent). Ensuite, lorsque l’administration Obama a commencé à faire des avances dangereuses à La Havane, presque tout le monde en Occident a commencé à faire des grimaces cyniques : «Vous voyez, maintenant tout va s’effondrer ! Ils vont acheter Cuba !» Ils ne l’ont pas fait. J’ai voyagé dans la chère île verte, et c’était tellement clair, dès le premier instant, que «la révolution n’est pas à vendre». Mais vous ne le lirez pas souvent dans les médias «progressistes»occidentaux.

 

Il n’y a bien sûr pas que l’Amérique latine pour être «détestée» par les progressistes en Occident. Effectivement, l’Amérique latine y reçoit au moins un certain soutien nominal.

 

La Chine et la Russie, deux nations puissantes, qui se dressent aujourd’hui ouvertement contre l’impérialisme occidental, sont méprisées par à peu près tous les «libéraux» et par la plus grande partie de la «gauche»occidentale. Dans ces cercles, règne une ignorance totale sur le type de démocratie en Chine, sur son ancienne culture et sur sa forme complexe, mais extrêmement réussie de communisme (on l’appelle le «socialisme avec des caractéristiques chinoises»). Comme des perroquets, les «gens de gauche» occidentaux répètent la propagande«libérale» affirmant que «la Chine est capitaliste», ou qu’elle dirigée par le«capitalisme d’État». L’internationalisme de la politique étrangère chinoise est constamment minimisé, et même raillé.

 

L’hostilité de la «gauche» occidentale à l’égard de la Chine a dégoûté de nombreux dirigeants et intellectuels chinois. J’ai réalisé l’étendue de cette révulsion seulement lorsque j’ai parlé, l’an dernier, au Premier forum culturel mondial à Pékin, et que je me suis mêlé aux penseurs de l’Académie chinoise de sciences sociales, le bras droit (intellectuel) du gouvernement et du parti.

 

La Chine peut compter sur ses alliés en Russie, en Amérique latine, en Afrique et ailleurs, mais définitivement pas en Occident.

 

Il est inutile de mentionner même la Russie ou l’Afrique du Sud.

 

La Russie, la «victime» pendant les épouvantables années Eltsine, a été«embrassée» par la gauche occidentale. La Russie guerrière, la Russie adversaire de l’impérialisme occidental, est de nouveau détestée.

 

Il semble que les «progressistes» aux États-Unis et en Europe préfèrent vraiment les «victimes». Ils peuvent, en quelque sorte, ressentir de la pitié et même écrire quelques lignes sur la «souffrance de femmes et d’enfants sans défense» dans les pays que l’Occident pille et viole. Cela ne s’étend pas à tous les pays brutalisés, mais au moins à certains…

 

Ce qu’ils n’aiment pas du tout, ce sont les femmes et les hommes forts qui ont décidé de lutter : de défendre leurs droits, d’affronter l’Empire.

 

Le gouvernement syrien est haï. Le gouvernement de Corée du Nord est méprisé. Le président des Philippines est jugé selon les mesures des médias libéraux occidentaux : comme un monstre vulgaire qui tue des milliers de trafiquants et de consommateurs de drogue «innocents» (certainement pas comme un possible nouveau Sukarno prêt à envoyer le monde entier en enfer).

 

Quoi que la «gauche» occidentale pense de la Corée du Nord et de son gouvernement (et en fait, je crois qu’elle ne peut pas vraiment penser beaucoup, puisqu’elle est totalement ignorante à son sujet), la principale raison pour laquelle la RPDC est tellement haïe par le régime occidental, est due au fait que, comme Cuba, elle a fondamentalement libéré l’Afrique. Elle a combattu pour la liberté en Angola et en Namibie, elle a fait voler des MIG égyptiens contre Israël, elle a combattu en Rhodésie (aujourd’hui le Zimbabwe) ainsi que beaucoup d’autres pays, et elle a envoyé de l’aide, des enseignants et des médecins, au continent entier dévasté par la barbarie colonialiste occidentale.

Elle a reçu beaucoup de bien en retour ! Au mieux de l’indifférence, au pire de la méchanceté totale !

 

Certains disent que la «gauche» occidentale ne veut pas prendre le pouvoir, qu’elle ne veut plus. Elle a perdu toutes ses batailles importantes. Elle est devenue édentée, impuissante et en colère contre le monde et elle-même.

 

Lorsque j’ai parlé au Parlement italien en janvier 2016 (finissant par insulter l’Occident pour son pillage mondial, son hypocrisie), je me suis beaucoup mêlé au Mouvement 5 étoiles, qui m’avait effectivement invité à Rome. J’ai passé du temps avec son aile gauche radicale. Il y a quelques personnes formidables là-bas, mais il est rapidement devenu clair que ce mouvement politique, potentiellement le plus grand du pays, est en fait horrifié à l’idée d’arriver au pouvoir ! Il ne veut pas vraiment gouverner.

 

Mais alors, pourquoi appeler ces faibles entités bizarres et égoïstes occidentales «la gauche» ? Pourquoi confondre les termes et, ce faisant, pourquoi discréditer ces vrais révolutionnaires, ces véritables combattants qui risquent et sacrifient leurs vies, en ce moment, partout dans le monde ?

 

Les guerres sont toutes extrêmement laides. J’en ai couvert beaucoup, et je sais… Mais certaines d’entre elles, celles qui sont menées pour la survie de l’humanité, ou pour la survie de pays particuliers, sont inévitables. Soit on se bat, soit la planète tout entière finit par être colonisée et opprimée, dans les fers.

 

Si on décide de se battre, alors il doit y avoir de la discipline et de l’obstination ; une détermination totale. Sinon, la bataille est perdue dès le début !

 

Lorsque la liberté et la survie de la patrie de quelqu’un est en jeu, les choses deviennent très sérieuses, vraiment graves. La bataille n’est pas un club de discussion. Ce n’est pas du bavardage.

 

Si nous, en tant que personnes «de gauche», avons déjà décidé une fois que l’impérialisme et le colonialisme (ou le néocolonialisme) sont les plus grands maux qui détruisent notre humanité, alors nous devons montrer de la discipline et rejoindre les rangs, et soutenir ceux qui sont en première ligne.

 

Faute de quoi nous deviendrons un sujet de plaisanterie sans intérêt, et l’Histoire nous jugera et devrait nous juger sévèrement.

Andre Vltchek  est philosophe, romancier, cinéaste et journaliste. Il a couvert des guerres et des conflits dans des douzaines de pays. Ses derniers livres sont : Exposing Lies Of The Empire et Fighting Against Western Imperialism. Conversation avec Noam Chomsky: On Western Terrorism. Il réalise des films pour teleSUR et Press TV. Après avoir vécu des années en Amérique latine et en Océanie, il réside et travaille actuellement en Asie de l’Est et au Moyen-Orient. Il peut être atteint par son site internet ou son compte Twitter.

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17 octobre 2016 1 17 /10 /octobre /2016 13:48

Présentation de Bruno Drweski via le blog de la Librairie Tropique

 

http://www.librairie-tropiques.fr/2016/03/bruno-drweski-la-russie-est-elle-de-gauche.html

 

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30 septembre 2016 5 30 /09 /septembre /2016 17:15
Le pentagone lance une nouvlle opération psychologique sur la Syrie: PsyOp

Par Manlio Dinucci

Mondialisation.ca, 27 septembre 2016

ilmanifesto.info

 

Les « Psyop » (Opérations psychologiques), dont sont chargées des unités spéciales des forces armées et des services secrets étasuniens, sont définies  comme des « opérations planifiées pour influencer à travers des informations déterminées les émotions et motivations et donc le comportement de l’opinion publique, d’organisations et de gouvernements étrangers, afin d’induire ou renforcer des attitudes favorables aux objectifs préfixés ».

 

Exactement l’objectif de la colossale psyop politico-médiatique lancée sur la Syrie.

Après cinq années pendant lesquelles on a cherché à démolir l’Etat syrien, en le démantelant de l’intérieur par des groupes terroristes armés et infiltrés de l’extérieur et en provoquant plus de 250mille morts, maintenant que l’opération militaire est en train d’échouer on lance l’opération psychologique pour faire apparaître comme agresseurs le gouvernement et tous ces Syriens qui résistent à l’agression.

 

Fer de lance de la psyop : la diabolisation du président Assad (comme auparavant Milosevic et Kadhafi), présenté comme un dictateur sadique qui prend plaisir à bombarder des hôpitaux et à exterminer des enfants, avec l’aide de son ami Poutine (dépeint comme un néo-czar de l’empire russe  renaissant de ses cendres).

 

C’est à cet effet que sera présentée à Rome, début octobre, à l’initiative de diverses organisations « humanitaires », une exposition photographique financée par la monarchie absolue du Qatar et déjà montrée à l’Onu et au Musée de l’holocauste à Washington à l’initiative des USA, de l’Arabie saoudite et de la Turquie : elle contient une partie des 55 mille photos qu’un mystérieux déserteur syrien, nom de code Caesar, dit avoir prises pour le gouvernement de Damas dans le but de documenter les tortures et les meurtres des prisonniers, c’est-à-dire ses propres crimes (sur la crédibilité des photos voir le rapport de Sibialiria et de l’Antidiplomatico).

 

En ce point une autre exposition est donc nécessaire, pour montrer toutes les documentations qui démolissent les « informations » de la psyop sur la Syrie.

Par exemple, le document officiel de l’Agence de renseignement du Pentagone, daté du 12 août 2012 (déclassifié le 18 mai 2015 grâce à l’initiative de « Judicial Watch ») : il rapporte que « les pays occidentaux, les Etats du Golfe et la Turquie soutiennent en Syrie les forces d’opposition pour établir une principauté salafiste en Syrie orientale, chose voulue par les puissances qui soutiennent l’opposition afin de d’isoler le régime syrien ».

 

Cela explique la rencontre en mai 2013 (documentée photographiquement) entre le sénateur étasunien MacCain, en Syrie pour le compte de la Maison Blanche, et Ibrahim al-Badri, le « calife » à la tête de l’EI.

 

Cela explique aussi pourquoi le président Obama autorise secrètement en 2013 l’opération « Timber Sycamore », conduite par la Cia et financée par Ryad avec des millions de dollars, pour armer et entraîner les « rebelles » à infiltrer en Syrie (voir le New York Times du 24 janvier 2016).

 

 

Une autre documentation se trouve dans les emails de Hillary Clinton (déclassifiés «number case F-2014-20439, Doc N° C057944983), où, en habit de secrétaire d’état, elle écrit en décembre 2012 que, étant donné la « relation stratégique » Iran-Syrie, « le renversement d’Assad constituerait un immense bénéfice pour Israël, et ferait aussi diminuer la crainte israélienne compréhensible de perdre le monopole nucléaire ».

Pour démolir les « informations » de la psyop, il faut aussi une rétrospective historique sur la façon dont les USA ont instrumentalisé les Kurdes dès la première guerre du Golfe en 1991. A l’époque pour « balkaniser » l’Irak, aujourd’hui pour désagréger la Syrie.

Les bases aériennes installées aujourd’hui par les USA dans la zone kurde en Syrie servent à la stratégie du « diviser pour régner », qui vise non pas la libération mais l’asservissement des peuples, y compris kurde.

Manlio Dinucci 

Edition de mardi 27 septembre 2016 de il manifesto

http://ilmanifesto.info/psyop-operazione-siria-2/

al-assad

Psyop: operazione Siria

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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24 septembre 2016 6 24 /09 /septembre /2016 09:27

Elections : La farce est prête

 

Par Bruno Guigue

Mondialisation.ca, 20 septembre 2016

Arrêt sur Info 17 septembre 2016

 

Le mouvement des idées a toujours un train de retard sur le mouvement des choses, disait Marx. Conquête révolutionnaire, le suffrage universel a été vidé de sa substance. Que l’élu du 8 novembre, par exemple, soit le candidat qui aura dépensé le plus pour sa campagne électorale est une loi d’airain de la « démocratie américaine ». Elle se vérifie pour toutes les élections présidentielles depuis les années 50. On peut toujours voter, mais à quoi bon, puisque les dollars vont couler à flots, décidant à l’avance du résultat ?

La Cour suprême, en 2010, a déplafonné les dons pour les campagnes électorales. Avec cette incitation à la générosité, Obama avait déjà dépensé un milliard de dollars en 2012. On imagine quel nouveau pas de géant la démocratie va accomplir en 2016 ! L’issue du scrutin ne dépendra pas de la volonté majoritaire du peuple américain, mais du rapport de forces au sein d’une oligarchie mondialisée trans-partisane. Donner la parole au peuple sur son propre avenir, appliquer la souveraineté populaire ? Ne cherchez plus cette idée saugrenue. Elle a été retirée du marché, c’est le cas de le dire.

La démocratie, si elle existe, signifie le pouvoir du peuple. Mais pour que le peuple exerce le pouvoir, il faut réunir les conditions d’un débat démocratique. Or la concentration capitaliste dans les médias a précisément pour finalité de supprimer ces conditions. Rendre la parole au peuple est une bonne idée, mais où la prendra-t-il, cette parole ? Le verrouillage de l’espace médiatique le lui interdit, il sape la délibération collective. Cet espace est livré à la pensée unique, il est saturé de bêtise, crétinisé à l’extrême. La télévision française, par exemple, atteint des sommets de veulerie, et ses journalistes feraient rougir des tapineuses. Querelle débile sur un maillot de bain, exégèse du dernier vomi de Zemmour : tout ce qu’elle sait faire, c’est jouer son rôle de machine à décerveler.

La démocratie, pour les élites mondialisées, n’est qu’une foire d’empoigne destinée à faire croire au bon peuple qu’il a son mot à dire. Sous le régime clownesque exigé par la domination des marchés, le peuple est une chambre d’enregistrement. Il est convoqué, périodiquement, pour dire amen au candidat de l’oligarchie. Il ne décide de rien, il avalise docilement. Le peuple, d’ailleurs, ne sait pas ce qui est bon pour lui. Tenté par le populisme, c’est un géant sourd et aveugle que des élites, éclairées à la lueur de leur compte en banque, sauront guider dans l’obscurité.

Si le jeu démocratique est une pitrerie, c’est parce que le capital mondialisé maîtrise totalement le processus électoral et les médias qui en parlent. Aux USA, où la presse est moins monolithique, c’est l’avalanche de dollars déversée par les donateurs qui décide de l’élection. En France, c’est la presse phagocytée par neuf milliardaires qui nous dit pour qui voter. Si DSK n’avait pas tenté de saillir le personnel d’un établissement hôtelier, il serait à la place d’Alain Juppé : les médias au service de l’oligarchie l’avaient déjà choisi.

Pour les élections à venir, la farce est prête. il ne reste plus qu’à l’enfourner. Mais pour les dindons, inutile de chercher : c’est nous. Le dispositif est au complet : la corruption des partis d’un côté, l’assommoir médiatique de l’autre. Ce double tour de serrure garantit que rien de périlleux pour l’ordre établi ne sortira du scrutin. On aura beau dire que la démocratie bourgeoise est une démocratie frelatée. On aura beau constater que la souveraineté populaire a été sacrifiée sur l’autel d’une monnaie. On aura beau rappeler qu’aucune transformation sociale n’est jamais sortie d’une élection. Cela ne sert à rien. Inutile, non plus, de bourrer les urnes, les dindons s’en chargeront.

Bruno Guigue

17 septembre 2016

 

Bruno Guigue, ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.

La source originale de cet article est Arrêt sur Info

Copyright © Bruno Guigue, Arrêt sur Info, 2016

 

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26 août 2016 5 26 /08 /août /2016 10:20

L’État dévasté


Repris sur Comité Valmy

 

 

Par Robert Charvin

 

Un constat fait consensus : la privatisation du monde anéantit la capacité normative des États. Les gouvernements et plus encore les parlements sont mis sous tutelle. Les élections sont le plus souvent vidées de leur sens. Les institutions publiques perdent leur pouvoir régulateur. Les frontières n’ont de signification que pour les pauvres de la planète : l’économie de marché est transnationale.

 

L’État s’est désarmé face au chômage ; il ne maîtrise plus les politiques de croissance ; il perd ses ressources fiscales et ne peut plus assurer la survie des systèmes de protection sociale. Ces pertes le délégitiment aux yeux du plus grand nombre : « elles ne sont compensées par aucun équivalent fonctionnel », souligne Habermas.

 

L’État n’est plus en mesure de maintenir une « communauté de volontés impures », selon la formule de Kant : les instincts et les perversions individuels, destructeurs de la société, ne sont plus contrecarrés par l’éthique de l’intérêt général et d’une quelconque solidarité sociale.

Aux yeux des citoyens, la valeur de l’État s’approche de zéro[1]. Ils ont peur de l’insécurité sociale et des violences ponctuelles, telles que les attentats terroristes ; ils ne sont plus libres. Seuls les marchés financiers « surfent » sur un système socio politique frappé d’anémie et en voie de démantèlement.

 

1. Ce processus de démolition de l’État entraînant une décomposition au moins partielle de la société civile (ce qui contredit ceux qui y placent toutes leurs espérances) est le fruit de la logique du capitalisme financier : il est de nature complexe, relativement lent, car il est le fait de tous, à des degrés divers, bien que les acteurs principaux soient les grands groupes financiers.

 

Nombre de citoyens acceptent de redevenir sujets, en espérant par leur docilité un servage sécurisé. Le discours et la pratique des syndicats réformistes les y encouragent. A défaut d’émancipation et de participation aux décisions, la démission et la passivité sont des « refuges » !

 

La dévastation de l’État occidental suit ainsi un cours apparemment « naturel », avec un minimum de heurts et de réactions sociales et politiques. Cet État a néanmoins besoin d’ennemi pour exister encore ; il s’affirme avant tout « sécuritaire » et le politique se restreint de plus en plus à une surenchère dans le domaine de la surveillance, du renseignement et de la répression policière. Le terrorisme islamiste, issu d’une confessionnalisation du vieil affrontement des pauvres contre ceux qui le sont moins et qui expriment le délire du religieux lorsqu’il s’empare du politique, permet, un temps encore, à cet État déclinant de trouver une justification, appelant à une « union sacrée » droite-gauche, stratégie « classique » des temps de « guerre » !

 

Ce sont les oligarques qui mènent le jeu : ils sont « apolitiques », s’affirmant les simples transcripteurs des « lois » qui gouvernent le devenir économique et social de l’Humanité. Leur obscurantisme prétend à la rationalité et toute idéologie (autre que la leur) est récusée. Ils ne sont ni du Nord, ni du Sud, et ne se rattachent à aucune école de pensée : la puissance et l’argent sont leurs seules raisons d’être.

 

Leur « éthique » est la domination par tous les moyens : leurs enfants en font l’apprentissage dans quelques grandes écoles discriminantes comme dans leurs partouzes à Ibiza ou à St Barth, avant de prendre en main à leur tour les rênes des grands pouvoirs privés dont ils hériteront.

 

Par contre, il subsiste dans le monde des États réticents vis-à-vis de la mondialisation. Leur mode de production, leur régime politique, leur niveau de développement sont différents, mais ils ont en commun le défaut majeur de constituer des espaces de « manques à gagner » pour les prédateurs que sont les grandes firmes privées et les Puissances qui les assistent, en premier lieu les États-Unis.

 

Ces Obstacles, qualifiés souvent « d’Etats-voyous », constituant « l’axe du Mal » dans le monde, sont durement sanctionnés : les grands médias les discréditent, les embargos les paralysent, les ingérences de toutes sortes les déstabilisent, dont certaines consistent à assister les opposants ou à acheter des gouvernants.

 

Si ces méthodes ne suffisent pas, le recours à la force armée est utilisé : l’armée chilienne « stimulée » par les États-Unis a ainsi liquidé en 1973 le pouvoir socialiste de S. Allende ; les armées occidentales et l’OTAN ont détruit les États arabes « non fiables » (l’Irak, la Libye, la Syrie, etc.) avec la complaisance d’Israël[2] et de la Turquie.

 

Cette destruction des États « non fiables » n’est pas suivie d’une politique de reconstruction : le chaos est, soit par volonté délibérée soit par indifférence, maintenu. Sans État organisé, les fractures internes de la population s’intensifient, se confessionnalisent, et les pouvoirs privés occidentaux « récupèrent » : par exemple, le pétrole libyen est vendu par certaines milices à bas prix (environ 10 dollars le baril) aux grandes compagnies privées, notamment italiennes et américaines, privant l’économie nationale de recettes vitales [3].

 

Les promesses occidentales de « démocratie » et de développement rapide ne sont pas tenues : le chaos à la libyenne ou à l’irakienne est lui-même très rentable, tout comme le servilisme instrumentalisé style Tchad, Gabon ou Côte d’Ivoire « ouattarisée »[4] !

 

La société internationale est ainsi aujourd’hui composée de Grandes Puissances dont les principaux pouvoirs privés économiques déterminent l’essentiel des politiques étatiques, d’États satellisés, d’espaces (de plus en plus nombreux au Moyen Orient et en Afrique) où règne le chaos. Quelques États cependant surnagent en se refusant à la mondialisation sauvage qu’imposent quelques oligarques, leurs firmes et leurs auxiliaires publics.

 

2.L’État ayant la volonté de sauvegarder sa souveraineté (ce qui est parfaitement conforme aux dispositions fondamentales de la Charte des Nations Unies, que nul n’ose réviser) n’a que deux options face à la volonté dévastatrice des pouvoirs privés et publics occidentaux. A l’exception de la Chine dont l’hyperpuissance la rend libre et invulnérable.

 

La première possibilité est la capitulation. C’est la voie, à court terme, la moins perturbatrice du désordre international établi : « l’alignement » (ouverture du marché, privatisations, paiement de la dette, quelle qu’en soit la nature, pluralisme de façade,…) sur le modèle occidental est devenu, depuis la disparition de l’URSS, la position la plus communément adoptée, particulièrement par les États du Sud.

 

Cette subordination n’est pas nécessairement impopulaire. Les bourgeoisies locales se sentent protégées dans leurs privilèges. La caste politique de même échappe à ses responsabilités devant les citoyens, pour ne les assumer que devant les maîtres du monde (firmes transnationales et Grandes Puissances). La pénibilité pour les gouvernants est limitée ; la soumission, malgré l’humiliation, peut rapporter quelques prébendes. Elle assure la stabilité et n’est pas incompatible avec une façade souverainiste, mettant en cause « l’étranger » lorsqu’on s’adresse au peuple ! Une partie de la jeunesse, y compris la plus démunie, rêve de la consommation « à l’occidentale », elle est séduite par l’american way of life mise en scène en permanence par les grands réseaux médiatiques. Certaines couches populaires croient au miracle économique et social pour peu que le pays s’intègre au marché mondial, dans le sillage des Grandes Puissances, c’est-à-dire avant tout des États-Unis. Enfin, la corruption largement « démondialisée » offre des solutions de sortie individuelle à la misère de masse.

 

La seconde option est la Résistance. Elle est le fait de quelques pays dont les modes de production, le système et la culture politique, le niveau de développement peuvent être très différents.

 

Cette Résistance peut s’appuyer sur le nationalisme, une forme de socialisme, telle ou telle religion, etc. afin de créer la cohésion sociale nécessaire pour affronter les Grandes Puissances. Mais la gestion de cet affrontement est très complexe. Elle exige des gouvernants à la fois la mise en œuvre d’une stratégie radicale (donnant naissance dans l’ordre interne à une opposition sans concession) et d’une tactique très souple dans l’ordre international pour contourner les obstacles que les grands intérêts privés leur opposent[5]. La promesse d’une émancipation sociale pour le plus grand nombre, qui est souvent faite, se heurte à des réalités difficilement surmontables tant les rapports de forces sont inégaux ! Elle se paie d’un prix très lourd, particulièrement pour les petits États. L’État russe lui-même est en permanence accusé et sanctionné, comme il l’était à l’époque soviétique [6] !

 

La surveillance de masse des communications et la surveillance « ciblée » organisée par les services américains rendent « transparents » tous ceux qui sont définis comme étant les adversaires des Occidentaux. L’argent versé en soutien aux oppositions permet le développement d’actions de déstabilisation : des ONG, sous couvert de « défense des droits de l’Homme », qui reçoivent des fonds occidentaux, sont en fait des partis d’opposition recevant des fonds de l’étranger[7]. Ce que ces oppositions font dans l’ordre interne est largement médiatisé à l’international afin de bénéficier d’un appui de l’opinion. Cette pression extérieure s’exerce aussi sur les personnalités les plus « fragiles » du pays visé : les pouvoirs occidentaux sont en mesure d’acheter des éléments « utiles » de l’appareil d’État résistants et ne s’en privent pas !

 

Aussi, l’État qui refuse « l’alignement » est conduit à se constituer en « citadelle », ce qui favorise la critique qui lui est portée. En effet, le pluralisme et les liberté facilitent les ingérences des puissances riches qui les instrumentalisent à leur profit. La démocratie libérale favorise un « désarmement » idéologique et politique incompatible avec le refus d’être « mondialisé » par des intérêts étrangers[8]. Les réformes économiques radicales telles que les nationalisations (qui ne sont qu’une étape dans le processus parfaitement conforme à la légalité internationale consacrant le libre choix du régime socio-économique et de l’édification d’un mode de production non capitaliste), provoquent des sanctions de toutes natures, notamment financières et d’embargos faisant obstacles à cette mutation. Ces représailles illicites étranglent l’économie nationale et rendent la vie des citoyens difficile [9], ce qui conduit à un mécontentement social à l’encontre de l’État ! Les gestionnaires de la Résistance sont alors accusés d’incompétence, d’inefficacité économique, et comble de l’iniquité de « totalitarisme » par les Puissances qui sont en fait les premiers responsables de la situation !

 

Le paradoxe, c’est que les progressistes occidentaux sont nombreux à porter des critiques sévères sur ces États-Résistants, joignant ainsi leur voix « moralisatrice » aux critiques des observateurs occidentalistes au service des grands intérêts privés dominants.

 

Pour ce « occidentalistes », donneurs de leçons, au premier rang desquels se trouvent ceux qui sont inspirés par la social-démocratie, ces États ne répondent pas aux « canons » abstraits qu’ils ont élaborés dans leurs bureaux confortables. Ils semblent n’être prêts à être solidaires que d’un État doté de toutes les vertus, champion de toutes les libertés, exempt de toute corruption, ayant surmonté toutes les crises. Or, cet État n’existe évidemment pas. L’intelligentsia occidentaliste peut donc rester attachée au système qui la fait vivre sans problème de conscience[10] !

 

En effet, la souveraineté nationale n’est pas à la mode. Le nationalisme ne l’est pas davantage bien qu’il tende, dans les pays menacés par les grandes puissances, à s’identifier au progressisme, par exemple, dans le monde arabe face à l’envahissement islamiste et à l’impérialisme étasunien.

 

Pourtant, c’est la conjugaison d’un nationalisme et du socialisme (mêlés aux valeurs de la civilisation locale) qui a permis par exemple à Cuba et à la Corée du Nord de subsister malgré un blocus de plus d’un demi-siècle ! C’est le réveil du patriotisme russe qui participe de la reconstruction de la puissance russe.

 

Chez les progressistes occidentaux, on préfère la mort héroïque de S. Allende et l’élimination de la tentative socialiste chilienne, voire même soixante-dix ans de défaites palestiniennes : les vaincus ont meilleure presse, on ne peut leur reprocher trop d’abus de pouvoir.

 

Ce pseudo-romantisme exprime surtout qu’en Occident, des contradictions profondes neutralisent une radicalité jugée trop « coûteuse » pour ceux qui y adhéreraient. Il y a en effet volonté révolutionnaire à condition qu’il n’y ait pas de révolution, goût pour un certain socialisme sous réserve de ne pas mettre en cause le mode de production capitaliste, rejet de la tyrannie sans vouloir les moyens de la détruire, solidarité avec les opprimés mais indifférence vis-à-vis des démunis ! Cette intelligentsia relevant de la pseudo « gauche moderne » est très éloignée d’un catholicisme conservateur comme le lucide Léon Bloy lorsqu’il écrit : « Le riche est une brute inexorable qu’on est forcé d’arrêter avec une faux ou un paquet de mitraille dans le ventre » (Le sang des pauvres. Arlea. 1995).

 

Les partis « socialistes » sont dans le coma dans toute l’Europe, mais leur esprit contamine le monde de la pensée. La sacralisation de l’individu est désincarnée : l’individu est aujourd’hui atomisé, isolé, déterminé par des contraintes extérieures dont il n’est pas toujours conscient car les rapports marchands sont partout et nulle part. Ce n’est plus celui conçu par les Lumières et la Révolution Française dont l’héritage est souvent renié.

 

Alors que règne le capitalisme financier, ceux qui rejettent l’État-Résistant et acceptent le démantèlement du leur, en fait, ne veulent rien si ce n’est un statu quo confortable pour eux-mêmes. Ils sont les adeptes d’une apathie généralisée en refusant les moyens nécessaires aux objectifs « humanistes » qu’ils prétendent poursuivre.

 

Doit-on attendre que l’Homme change pour tenter d’édifier un autre monde ? Les droits de l’Homme surgiront-ils spontanément dans les sociétés lourdement sous développés ? Quelle « société civile », armée de quelles ONG, est en mesure de faire comparaître le capitalisme financier devant un éventuel nouveau Tribunal de Nuremberg ?

 

Changer la vie ne peut être une fête. Ce ne peut être qu’un processus historique douloureux, difficile, ponctué d’erreurs, de contradictions, voire de crimes. C’est la sueur et le sang des peuples qui bousculent l’Histoire. C’est un phénomène riche que la recherche dans divers pays de méthodes nouvelles, de structures inédites à construire pour mener le combat politique. Mais ce désir « d’horizontalité », comme l’exprime dans une certaine mesure le Forum Social Mondial ou plus modestement le mouvement « Nuit Débout » n’exclut pas la capacité organisationnelle des partis et la « verticalité » du pouvoir d’État.

 

L’État qui n’est évidemment pas une réalité éternelle n’a pas épuisé son rôle historique. Il reste une arme vitale dans l’ordre interne comme dans le désordre international contre le capitalisme financier, pourvu qu’il participe à la lutte des classes internationale contre les maîtres actuels du monde.

Robert Charvin
23 août 2016 Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Notes :

[1]Voir J. Ziegler. Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent. Fayard. 2002 (notamment le chapitre sur « la mort de l’État ») p. 117 et s.

[2]Les hôpitaux israéliens, par exemple, soignent les blessés syriens appartenant à la rébellion armée contre le régime de Damas !

[3]Les forces spéciales américaines, françaises et italiennes développent leur politique en territoire libyen en servant avant tout les intérêts des grandes compagnies pétrolières occidentales.

[4]Les gouvernants français, très préoccupés de « légalité » … formelle, réclament toujours aux pays qu’ils contrôlent l’organisation d’élections légitimatrices, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles se déroulent, pourvu que les résultats leur conviennent (ce qui n’avait pas été le cas lors de la réélection de L. Gbagbo en Côte d’Ivoire, ce qui a entraîné son élimination par la force !).

[5]Les États que l’Occident tente d’isoler sont amenés à conclure des accords qui sont parfois contre nature (voir par exemple, le rapprochement Russie-Turquie en 2016).

[6]Voir R. Charvin (préface M. Collon, postface P. Lévy). Faut-il détester la Russie ? Vers une nouvelle guerre froide ? Edition Investig’action. Bruxelles. 2016.

[7]Certains États, se sentant menacés par l’intrusion de cet argent étranger dans leur vie intérieure, exigent l’enregistrement de ces ONG comme « organisations étrangères ».

[8]Dans certains pays du Sud refusant la subordination aux États-Unis, comme le Nicaragua par exemple, les grands médias nationaux sont sous la tutelle de la bourgeoisie locale, soutenue par les États-Unis. Selon D. Ortega, le leader de l’opposition nicaraguayenne « c’est l’ambassadeur des États-Unis » !

[9]La Corée du Nord subit un embargo quasi-total depuis près de 70 ans pour des motifs différents selon les époques. Cette tentative d’asphyxie est accompagnée d’un dénigrement systématique de la politique qui en résulte.

[10]Il apparaît que ces intellectuels à « l’avant-garde de la liberté » soulèvent en 2016 la problématique des mains sales de Jean-Paul Sartre qui remonte à 1948. Le héros principal de la pièce de Sartre est Hoederer qui accepte par nécessité de payer le prix qu’impose la révolution, ce qui n’est pas le cas de Hugo qui veut garder les mains « propres », mais qui en fait n’a pas de mains du tout !

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4 août 2016 4 04 /08 /août /2016 10:43
Par Dmitry Orlov

Repris sur  Comité Valmy

 

 

[Ci-dessus, une photo de Kerry parlant à Poutine et à Lavrov à Moscou il y a environ une semaine. Leurs expressions faciales sont tout à fait expressives. Kerry est dos à la caméra, babillant comme à son habitude.] Le visage de Lavrov montre : « Dire que je suis obligé de rester ici écouter de nouveau ses incohérences ». Le visage de Poutine dit : « Oh le pauvre idiot, il ne peut se résoudre à accepter que nous allons de nouveau juste dire ‘Niet’ ». Kerry est rentré chez-lui avec un autre « Niet ».


États-Unis

ICH – ClubOrlov, 27.7.2016 – Voici la manière dont les choses sont censées fonctionner sur cette planète : aux États-Unis, les structures de pouvoir (publiques et privées) décident ce qu’elles veulent que le reste du monde fasse. Elles communiquent leurs vœux par les canaux officiels et officieux, et comptent sur une coopération automatique. Si la coopération n’intervient pas immédiatement, elles appliquent des pressions politiques, économiques et financières. Si cela ne produit toujours pas l’effet escompté, elles tentent de changer de régime par une révolution de couleur, un coup d’état militaire ou en organisant et finançant une insurrection conduisant à des attaques terroristes et à la guerre civile chez la nation récalcitrante. Si cela ne fonctionne toujours pas, ils bombardent le pays le réduisant à l’âge de pierre. C’est ainsi que cela fonctionnait dans les années 1990 et 2000, mais dernièrement une nouvelle dynamique a émergé.

 

Au début, elles se concentraient sur la Russie, mais le phénomène s’est depuis répandu dans le monde et est même prêt à engloutir les États-Unis eux-mêmes. Il fonctionne comme ceci : les États-Unis décident ce qu’ils veulent que la Russie fasse et communiquent leurs souhaits dans l’expectative d’une coopération automatique. La Russie dit « Niet ». Les États-Unis alors entreprennent toutes les étapes ci-dessus à l’exception de la campagne de bombardement, à cause de la puissance de dissuasion nucléaire russe. La réponse reste « Niet ». On pourrait peut-être imaginer qu’une personne intelligente au sein de la structure du pouvoir étasunien dirait : « Sur la base des preuves que nous avons devant nous, dicter nos conditions à la Russie ne fonctionne pas ; nous allons essayer de négocier de bonne foi avec elle, comme des égaux ». Et puis tout le monde applaudirait disant : « Oh ! C’est génial ! Pourquoi n’y avions-nous pas pensé ? » Mais au lieu de cela, cette personne serait le jour même virée parce que, voyez-vous, l’hégémonie mondiale étasunienne est non négociable. Et donc ce qui se passe à la place est que les étasuniens déconcertés, se regroupent et essayent de nouveau ; ce qui donne un spectacle tout à fait amusant.

 

L’ensemble de l’imbroglio Snowden était particulièrement amusant à suivre. Les États-Unis exigeaient son extradition. Les Russes ont répondu : « Niet, notre constitution l’interdit ». Et puis, de manière hilarante, quelques voix en Occident ont demandé alors que la Russie change sa constitution ! La réponse, ne nécessitant pas de traduction, était « ha-ha-ha-ha-ha ! ». L’impasse sur la Syrie est moins drôle : les étasuniens ont exigé que la Russie aille de pair avec leur plan pour renverser Bachar al-Assad. L’immuable réponse russe a été : « Niet, les Syriens décideront de leurs dirigeants, pas la Russie ni les États-Unis ». Chaque fois qu’ils l’entendent, les étasuniens se grattent la tête et ... essayent de nouveau. John Kerry était tout récemment à Moscou, pour engager une « session de négociations » marathoniennes avec Poutine et Lavrov.

 

Ce qu’il y a de pire est que d’autres pays entrent dans ce jeu. Les Étasuniens ont dit aux Britanniques exactement comment voter, cependant ceux-ci ont dit « Niet » et ont voté pour le Brexit. Les Étasuniens ont dit aux Européens d’accepter les conditions désastreuses que voulaient imposer leurs grandes transnationales, le Partenariat pour le commerce et l’investissement transatlantique (TTIP), et les Français ont dit « Niet, ça ne passera pas ». Les États-Unis ont organisé un nouveau coup d’état militaire en Turquie pour remplacer Erdoğan par quelqu’un qui ne tentera pas d’essayer de faire le gentil avec la Russie. Les Turcs ont dit « Niet » à cela aussi. Et maintenant, horreur des horreurs, c’est Donald Trump qui dit « Niet » à toutes sortes de choses : l’OTAN, la délocalisation des emplois étasuniens, l’entrée à des vagues de migrants, la mondialisation, les armes pour les ukrainiens nazis, le libre-échange …

 

L’effet psychologiquement corrosif du « Niet » sur la psyché hégémonique étasunienne ne peut être sous-estimé. Si vous êtes censé penser et agir comme un hégémon, mais où seule fonctionne la partie penser, le résultat est la dissonance cognitive. Si votre travail est d’intimider les nations tout autour, et que les nations refusent de l’être, alors votre travail devient une blague, et vous devenez un malade mental. La folie qui en résulte a récemment produit un symptôme tout à fait intéressant : quelque membres du personnel du Département d’état étasunien, ont signé une lettre - rapidement fuitée - appelant à une campagne de bombardement contre la Syrie pour renverser Bachar al-Assad. Voilà des diplomates !

 

La diplomatie est l’art d’éviter la guerre, par la négociation. Les diplomates qui appellent à la guerre ne sont pas tout à fait ... des diplomates. On pourrait dire que ce sont des diplomates incompétents, mais ce ne serait pas suffisant (la plupart des diplomates compétents ont quitté le service pendant la seconde administration Bush, beaucoup d’entre eux à cause du dégoût d’avoir à mentir au sujet de la justification de la guerre en Irak). La vérité est, qu’ils sont malades, des va-t-en-guerre non diplomates mentalement dérangés. Voilà la puissance de ce simple mot russe qui leur a fait perdre littéralement la tête.

 

Mais il serait injuste de mettre en avant le Département d’état. C’est l’ensemble du corps politique étasunien qui a été infecté par un miasme putride. Il imprègne toutes les choses et rend la vie misérable. En dépit de l’augmentation des problèmes, la plupart des autres choses aux États-Unis sont encore un peu gérables, mais cette chose-là : L’incapacité d’intimider l’ensemble du monde, ruine tout. C’est le milieu de l’été, la nation est à la plage. La couverture de plage est mitée et râpée, l’ombrelle trouée, les boissons gazeuses dans la glacière pleines de produits chimiques nocifs et la lecture estivale ennuyeuse ... et puis il y a une baleine morte qui se décompose à proximité, dont le nom est « Niet ». Elle ruine tout simplement toute l’ambiance !

 

Les têtes bavardes des media et des politiciens de l’ordre établi, sont à ce moment, douloureusement conscients de ce problème, et leur réaction prévisible est de blâmer ce qu’ils perçoivent comme la source des maux : la Russie, commodément personnifiée par Poutine. « Si vous ne votez pas pour Clinton, vous votez pour Poutine » est une devise puérile nouvellement inventée. Un autre est « Trump est l’agent de Poutine ». Toute personnalité publique qui refuse de prendre une position favorable à l’ordre établi est automatiquement étiquetée « idiot utile de Poutine ». Prises au pied de la lettre, de telles allégations sont absurdes. Mais il y a une explication plus profonde en ce qui les concernent : ce qui les lie toutes ensemble est la puissance du « Niet ». Le vote pour Sanders est un vote pour le « Niet » : l’ordre établi du Parti démocrate a produit une candidate et a dit aux gens de voter pour elle, et la plupart des jeunes ont dit « Niet ». De même avec Trump : L’ordre établi du Parti républicain a fait trotter ses sept nains et dit aux gens de voter pour l’un d’eux, et pourtant la plupart des ouvriers blancs laissés pour compte ont dit « Niet » et voté pour un outsider, Blanche neige.

 

C’est un signe d’espoir de voir que les gens à travers le monde dominé par Washington, découvrent la puissance de « Niet ». L’ordre établi peut encore apparaître, pimpant de l’extérieur, mais sous la nouvelle peinture brillante, il cache une coque pourrie, qui prend eau à toutes les jointures. Un « Niet » suffisamment retentissant sera probablement suffisant pour le faire couler, permettant quelques changements très nécessaires. Quand cela se produira, je vous prie de vous rappeler que c’est grâce à la Russie ... ou, si vous insistez, Poutine.

Dmitry Orlov

Dmitry Orlov est né à Leningrad et a immigré aux États-Unis en 1970. Il est l’auteur de Reinventing Collapse, Hold Your Applause ! et Absolutely Positive. Il publie toutes les semaines sur le phénoménalement populaire blog www.ClubOrlov.com.

[http://www.informationclearinghouse.info/article45187.htm]

 [Traduction Alexandre MOUMBARIS
relecture Marie-José MOUMBARIS
 

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22 juin 2016 3 22 /06 /juin /2016 17:42

Pour le Nouveau Cénacle à l’occasion de la sortie de son dernier livre Un printemps russe  aux éditions Les Syrtes.

 

Nouveau Cénacle : L’École historique française aime analyser les phénomènes sur le long terme. Pour reprendre l’expression de l’économiste Jacques Sapir, le « retour de la Russie dans le jeu international » paraissait inévitable, tant sur le plan européen que sur le plan mondial. Comment expliquez–vous cependant l’image négative de la Russie dans le monde ?

 

Alexandre Latsa : Tout d’abord je souhaiterais nuancer votre affirmation. L’image de la Russie n’est pas négative partout dans le monde. La Russie a une bonne image en Asie, une relativement bonne image en Afrique et en Amérique du sud. Dans de nombreux pays musulmans arabes la Russie a une bonne image. Le pays a en outre une bonne image par exemple en Iran ou en Israël, ou résident de nombreux russophones. Enfin son image est même bonne dans certains pays orthodoxes d’Europe de l’Est tels que la Grèce, la Serbie ou Chypre.

 

L’image de la Russie est en réalité surtout négative en Occident, soit au sein du monde anglo-saxon et en Europe de l’Ouest. La raison principale est l’orientation politique des médias dominants des pays de cette zone occidentale qui est sous domination profonde (morale, culturelle, civilisationnelle, politique, militaire) des États-Unis. Ce processus de domination de Washington sur l’Occident est ancien, il a commencé en 1945 après la fin de la grande guerre civile européenne. Il s’est accentué à la fin de l’URSS lorsque la coalition occidentale (l’OTAN) s’est agrandie militairement et politiquement notamment au sein de l’ancien monde soviétique. Cette extension s’est sans surprise accompagnée d’un formatage mental et sociétal profond avec l’aide d’une extraordinairement adroite, subtile et diffuse propagande qui s’est appliquée à promouvoir le modèle civilisationnel, politique, économique et moral occidental – c’est à dire américain. Cela n’a été rendu possible que par une prise de contrôle totale des médias afin de créer une opinion dominante, « Mainstream ».

 

Au final les médias des pays de l’OTAN défendent l’OTAN tandis qu’ailleurs dans le monde (En Inde, en Chine, en Russie, dans les pays africains, en Amérique Latine …) seuls les médias financés ou soutenus par l’Occident ne défendent ce point de vue occidentalisant ! Mais la Chine, la Russie ou l’Inde n’ont eux pas, ou quasiment pas, de médias puissants et reconnus qui émettent dans la zone occidentale pour y défendre leurs points de vue.

 

Au final tandis que l’Occident prône son modèle ouvert et démocratique, c’est l’inverse qui se passe : les Chinois et les Russes ont accès à CNN mais les Français n’ont eux pas accès aux nouvelles russes ou chinoises. Ils sont enfermés dans le prisme médiatique et la vision du monde nord-américaine. La raison principale à cela est simple : le pôle américain qui maintient sous sa tutelle l’Occident craint plus que tout l’émergence de nouveaux modèles qui pourraient séduire les peuples européens et faire de l’ombre au modèle américain, et ainsi remettre en cause l’agenda des élites occidentales, de l’oligarchie et de cette hyperstructure que Zinoviev a si bien décrit.

 

« On peut imaginer qu’à l’avenir les choix de modèles de sociétés ne rapprochent de nouveau Moscou et l’Est de l’Europe par le ciment du conservatisme ». 

 

NC : Peut-on parler aujourd’hui d’un choc des modèles, entre d’un côté, un modèle américano-occidental où l’individu est placé au centre de la société, et d’un autre côté, un modèle russo-slave où la tradition, la famille et la Nation doivent être mises en avant ?

 

AL : Il y a une scission en effet qui se dessine sur diverses lignes de fractures dont une opposition forte entre des pays connaissant des évolutions sociétales individualistes comme par exemple au sein des pays européens catholiques déchristianisés (la France ou l’Italie …) ou au sein du monde protestant et scandinave, avec les modèles progressistes Hollandais et Suédois. Au contraire dans les ex-nations soumises par exemple au joug soviétique, on voit que la volonté de se faire dissoudre par Bruxelles suscite plus de méfiance, tandis que l’identité nationale y est réaffirmée, que l’on pense à la Pologne ou la Hongrie par exemple. Paradoxalement, c’est en effet Moscou qui est le plus en avance sur le retour de ces valeurs fortes : État, famille, traditions. Un comble alors qu’au cours de la dernière décennie la soi-disant « Nouvelle Europe » était la plus hostile à la Russie.

 

On peut imaginer qu’à l’avenir les choix de modèles de sociétés ne rapprochent de nouveau Moscou et l’Est de l’Europe par le ciment du conservatisme et de la religion tandis qu’à l’Ouest on ne continue à se noyer dans l’athéisme laïciste totalitaire, du moins jusqu’à un potentiel sursaut religieux national ou l’émergence d’un Islam national qui ne réimpose des valeurs traditionnelles.

 

NC : Vous êtes un homme d’affaires installé en Russie depuis une dizaine d’années. Comment, eu égard au contexte international – et particulièrement entre la France et la Russie – est-il possible de faire des affaires ou de s’implanter durablement dans ce pays ? 

AL : Oui bien sûr, la Russie n’est sans conteste pas le pays le plus simple pour s’installer que ce soit sur le plan administratif, linguistique, culturel ou climatique mais beaucoup de choses restent à y faire, à y développer.


La chute forte du rouble a eu ses conséquences négatives et difficiles pour la population mais si la monnaie reste basse alors de nouvelles perspectives vont apparaitre que l’on pense par exemple à la possibilité d’y délocaliser de la production ou des services. En outre les fondamentaux de l’économie restent bons : le pays a peu de dettes, la population n’est pas endettée, les réserves de changes restent élevées et elles sont passées du reste de 356 milliards de dollars en mars 2015 à 391 milliards en Mai 2016. La démographie ne cesse de s’améliorer (la population russe ne diminue plus depuis 2009 et augmente naturellement depuis 2012) et le retour continu de Russes de l’Étranger en Russie, depuis 2008, ne peut apporter que du bon au pays.

 

Par conséquent il y a beaucoup à faire en Russie et l’avenir du pays est prometteur, mais c’est de plus en plus concurrentiel.

 

NC : Vous analysez, dans votre ouvrage, le rôle des médias quant à l’image de la Russie dans notre pays. On dit toujours qu’il faut « suivre l’argent », or on sait aujourd’hui que la production journalistique est contrôlée à la fois par l’État (via les subventions) et par un groupe restreint d’hommes d’affaires présents dans les conseils d’administration (exemple le conseil d’administration du journal Le Monde avec Pierre Bergé et Xavier Niel).  Pourtant, il y a des opportunités d’affaires en Russie. Pourquoi, dans ce contexte, les médias ont une attitude si critique à l’égard des Russes et particulièrement à l’égard du pouvoir en place ? 

 

AL : La production journalistique, le contenu délivré heure par heure, jour par jour est le fait de techniciens du monde médiatique (journalistes, pigistes…) qui sont souvent des gens avec le même ADN mental. Bien souvent le monde du journalisme attire des gens jeunes, de gauche, fils de bonne famille et qui souhaitent promouvoir une vision du monde. On est loin du journaliste d’antan, homme de culture et de connaissance qui tentait de comprendre et expliquer le monde.

Le journalisme d’aujourd’hui est militant, twitterisé, c’est un slogan bien souvent droit-de-l’hommiste en bas et atlantiste en haut. Malgré tout, les rédactions veillent et préviennent tout dérapage : le délire et les mensonges des journalistes sont permis tant qu’ils ne portent pas atteinte aux intérêts supérieurs (l’OTAN, l’UE, l’Euro) ou tant qu’ils ne portent pas de messages dangereux (patriotisme, souveraineté, nation, peuple, famille…) voire ne favorisent pas de modèles étrangers tel que par exemple le modèle russe.

 

La presse française est à bout de souffle, et vu le contenu médiocre qu’elle contient, il est logique qu’elle soit en faillite. Fort logiquement, dans le même temps, la confiance des citoyens envers les journalistes ne cesse de diminuer. C’est bientôt la fin de ce système médiatique en faillite tant moralement que financièrement. Son effondrement laissera place à de nouveaux modes de journalisme et sans doute la place à de nouvelles explications, à de nouvelles façons de regarder notre monde.

 

« Un tel niveau d’entrisme subtil et subversif est l’apanage et la marque de fabrique d’une certaine ultragauche, nulle surprise que les penseurs du néoconservatisme ne soient majoritairement des trotskystes ».

 

NC : Xavier Moreau, dans son ouvrage sur la crise ukrainienne, insiste sur l’impact des réseaux atlantistes au sein des partis politiques – qui dépasse largement l’adhésion à des idées puisque les think tanks y ont une influence non négligeable selon lui (notamment chez Les Républicains). Quelle est votre analyse à ce sujet ?

 

AL : Je pense en effet que par effet d’inertie principalement « on » a pris l’habitude en Occident et en France de penser qu’on est plus proche des Américains que des autres. C’est assez surprenant pour un pays qui a longtemps eu deux vigoureux et très anti-américains poumons : le communisme et le gaullisme. Mais l’observateur attentif s’apercevra que l’Atlantisation de notre pays au cours des dernières décennies s’est superposée sur le plan historique, à la disparition de ces poumons communistes et gaullistes. Dès la fin des années 70, après Mai 68 (notre révolution de couleur), l’élimination de ces réseaux communistes et gaullistes a vu l’instauration d’une sociale-démocratisation et d’un bipartisme de façade, tandis qu’en arrière-plan la fondation franco-américaine travaillait tant les élites médiatiques et politiques de gauche comme de droite. Résultat des courses l’élite politique qui a pris le pouvoir après cette reconfiguration, qu’elle fut de gauche ou de droite, fonctionnait selon le même logiciel global, vers les mêmes objectifs globaux. Cette prise de pouvoir des réseaux occidentalistes, américains et néo-conservateurs a touché la France, mais aussi d’autres pays européens ou encore les structures de Bruxelles.

 

Un tel niveau d’entrisme subtil et subversif est l’apanage et la marque de fabrique d’une certaine ultragauche, nulle surprise que les penseurs du néoconservatisme ne soient majoritairement des trotskystes.

 

NC : On peut constater aujourd’hui l’impact de la culture américaine dans nos sociétés occidentales (les communistes parlaient dans les années 1947-1948 de « cocacolonisation »). Cet impact met en exergue l’importance d’un pouvoir culturel (ou « soft power ») dans la compétition internationale. Seriez-vous d’accord avec l’idée que la Russie manque d’un « pouvoir culturel » et qu’elle ne sait pas se mettre en valeur ? 

 

AL : Je crois que l’URSS avait une force de frappe colossale en ce qui concernait le soft-power, car elle avait un modèle très clair à défendre, proposer et donc promouvoir. La disparition de l’URSS n’a laissé qu’un choix, qu’un modèle disponible pour l’humanité, un modèle qui lui, par sa force de frappe culturelle et la puissance de sa propagande (les deux étant liés), a longtemps convaincu une grande partie des populations du monde qu’il n’y aurait plus jamais de choix.

 

Aujourd’hui, alors que le l’image du californien riche et heureux a été remplacé par un mélange de Texan guerrier et de Trader escroc, le rêve américain n’est plus ce qu’il était. L’Europe était visiblement incapable d’accoucher d’un quelconque modèle, la Russie a donc certainement une fenêtre historique à jouer, mais il faudrait qu’elle arrive à préciser les contours de ce modèle propre dont elle accouche dans la douleur, et surtout l’idéologie corollaire. Cela est très difficile car il faudrait que les élites russes arrivent à concilier une partie des héritages Tsaristes et communistes avec la nouvelle Russie actuelle ce qui est une équation ultra-complexe.

 

« Les élites russes tentent de confirmer et appuyer cette rechristianisation en faisant en effet endosser à la Russie son statut de troisième Rome, de gardienne des valeurs chrétiennes et de protectrice des minorités chrétiennes dans le monde ». 

 

NC : De plus en plus de catholiques envisagent de se convertir à l’orthodoxie, certains ont même déjà sauté le pas. De plus, le sentiment général parmi les chrétiens est que la Russie apparaît de plus en plus comme la nouvelle Rome et la nouvelle protectrice du christianisme dans le monde. À votre avis, l’orthodoxie en Russie peut-elle régénérer le christianisme occidental (et particulièrement le catholicisme ?)

 

AL : Je crois que nous vivons une période où les nations mères et porteuses du catholicisme en Europe que sont la France ou l’Italie sont dans une boucle civilisationnelle « déchristianisante »forte. C’est une dynamique lourde et profonde qui est inquiétante mais qui semble irréversible à court terme tant le monde catholique n’est pas plus soudé sur le plan doctrinal ou même politique.

 

Effectivement dans le même temps la Russie voit la religion revenir au centre de la société avec le soutien direct des élites politiques. Quand je parle de religion je parle tant d’orthodoxie que d’islam ou de bouddhisme, c’est une symphonie religieuse de la même façon qu’on parle de symphonie des cultures pour qualifier l’incroyable polyethnisme russe.

 

Les élites russes tentent de confirmer et appuyer cette rechristianisation en faisant en effet endosser à la Russie son statut de troisième Rome, de gardienne des valeurs chrétiennes et de protectrice des minorités chrétiennes dans le monde.

 

« La Russie ne montre-t-elle pas que la reconstruction nationale se fait par l’État ? Que la politique peut résister ou contenir des dérives économiques ? »

 

NC : La France va élire en mai 2017 son prochain Président de la République. Si l’on considère qu’il y a un choix à faire entre le modèle occidental (promu par les États-Unis et l’Union Européenne) et le modèle russe, en quoi les relations entre la France et la Russie peuvent avoir un impact sur l’élection présidentielle ? Inversement, en quoi l’élection présidentielle risque de déterminer les relations entre notre pays et la Russie ?

AL : Aucun à mon avis. Je ne crois pas que la question russe se pose en sujet essentiel de la prochaine élection présidentielle française pas plus que je ne pense que le choix soit entre Moscou et Bruxelles. Il est plutôt entre Bruxelles ou peut-être pas Bruxelles. Je crois surtout que les échéances électorales qui se succèdent en France voient chaque fois des élites plus incompétentes et plus lâches prendre le pouvoir. Inévitablement, la situation de notre pays devrait ainsi et bien malheureusement continuer à se dégrader, sur le plan économique, sécuritaire, moral… Nous payons cher le prix de l’incompétence de nos gouvernants.

 

Au sein des forces d’opposition, il semble certain que la montée en puissance des mouvances souverainistes ou eurosceptiques de droite comme de gauche, partis d’opposition ou tendances au sein des partis de gouvernance, ne croisent les trajectoires de Moscou sur le plan politique ou économique. La Russie ne montre-t-elle pas que la reconstruction nationale se fait par l’État ? Que la politique peut résister ou contenir des dérives économiques ? En outre les politiques internationales non alignées de Moscou sont des modèles du genre que ce soit en Syrie ou ailleurs.

 

On peut facilement imaginer que le poutinisme devienne une sorte de nouveau gaullisme et donc un authentique modèle

 

Pour ce qui est de l’élection française vue du côté russe je pense que cela aura peu d’influence sur la relation entre les deux pays. Si la relation semble être un tant soit peu plus facile avec la droite qu’avec la de politique internationale de gauche, les élites russes semblent assez découragées du monde politique européen et plutôt en train de se chercher de nouveaux horizons, asiatiques, postsoviétiques et intérieurs.

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18 juin 2016 6 18 /06 /juin /2016 09:58
Des nains et un géant…
par Jacques Sapir

Repris sur Comité Valmy

 

 

François Hollande multiplie actuellement les hommages au Général de Gaulle. En attendant le 18 juin, et la cérémonie au mont Valérien, il se rendra à Colombey-les-Deux-Églises. Le vendredi 17 juin, le chef de l’État visitera aussi l’exposition « Un président chez le roi – De Gaulle à Trianon » au Grand Trianon de Versailles. Puis il se rendra le lendemain, comme il le fait chaque année, au Mont Valérien, pour le 18 juin, date de l’Appel à la résistance lancé par le général en 1940[1]. Il n’y aurait rien à dire à cela si quelque événement venait justifier ces commémorations.

Notons qu’il aurait pu se rendre à la demeure du Général pour l’anniversaire de sa mort, ou qu’il aurait pu le faire le 8 mai, pour l’anniversaire de la victoire. Bref, pour tout dire, cela sent le fabriqué, le manipulé, le produit de communication, le pas vraiment sincère, bref la campagne électorale. Car, si ce n’est d’être le Président de la République, quels sont les titres de François Hollande pour rendre, en cette année 2016, un nombre aussi appuyés d’hommages ?

 

Hommages à contretemps ?

S’il souhaitait honorer l’homme politique, il pouvait choisir de le faire pour l’anniversaire de la constitution, c’est à dire le 4 octobre. Ou alors, il pouvait saisir le 70ème anniversaire du Discours de Bayeux (16 juin 1946) dans lequel le Général de Gaulle avait exprimé sa pensée sur les réformes institutionnelles qu’il souhaitait introduire. Ou encore, le discours d’Epinal, certes moins connu mais non point important (29 septembre 1946).

 

Il pouvait aussi choisir de commémorer le discours de Phnom Penh s’il voulait saluer la politique étrangère de son illustre prédécesseur. Sauf que cela impliquerait un 1er septembre. On le voit, aucune date ne peut être précisément invoquée pour cette subite poussée de fièvre commémorative.On dira, et cela n’est pas faux, que l’on peut commémorer en toute saison un homme immense. Sauf que rien, dans l’attitude de François Hollande, ne laisse à penser qu’il tienne Charles de Gaulle pour un homme immense. La comparaison, de plus, entre les attitudes de l’un et de l’autre serait bien cruelle pour François Hollande. Quand on sait avec quelle farouche énergie le Général de Gaulle avait séparé sa vie privée de sa vie publique, allant même jusqu’à faire installer un compteur électrique sur les parties privées de l’Elysées afin que sa vie courante ne soit pas à la charge de la République, et quand on compare cela aux aventures sur deux roues de l’actuel résident du palais Présidentiel se rendant en secret de sa compagne dans le lit de sa maitresse, on conçoit bien que la comparaison n’est pas possible. Elle l’est encore moins si l’on se réfère à la politique où François Hollande a régulièrement pris le contre-pied de son illustre prédécesseur.

 

Hommages à contre sens

Et cela renvoie à la folie qu’il y eut pour François Hollande de proclamer une « Présidence normale ». L’acte d’exercer le pouvoir présidentiel est en effet tout sauf « normal ». François Hollande a confondu le « normal » avec le « commun ». Car, dans « normal » il y a norme et il peut y avoir plusieurs types de normes. En particulier on peut penser qu’il y a une norme « héroïque » qui convient bien mieux à l’exercice du pouvoir suprême. Pour l’avoir oublié, pour avoir tiré la fonction présidentielle vers le « commun », et certes il ne fut pas le premier Nicolas Sarkozy ayant bien entamé cette tache, il risque de passer à la postérité pour le Président le plus détesté des Français. Ce n’est pas par hasard si, aujourd’hui, il y a une telle nostalgie pour le personnage qu’incarnait le général de Gaulle. Et les français savent bien que l’homme ne correspondant pas nécessairement à l’image qu’il nous a léguée.

 

Mais, ils lui sont reconnaissants d’avoir tenu ce personnage public même s’il pouvait être assez différent dans la vie privée. François Hollande, dès lors qu’il avait décidé de briguer la Présidence de la république aurait pu, et dû, comprendre que la dignité de la fonction qu’il allait exercer impliquait des contraintes sur sa vie personnelle. Mais, à avoir voulu vivre une vie « normale », au sens de « commune », alors qu’il était dans une fonction exceptionnelle, il a tout perdu. Il a sous-estimé la dimension symbolique de la Souveraineté qu’il allait incarner et cela sans doute, parce qu’européiste convaincu, et ses convictions sont respectables, il ne pouvait comprendre le caractère spécifique et particulier de la Souveraineté et ce qu’elle implique pour qui l’incarne. Ici repose sans doute l’un des malentendus les plus tragiques et les plus destructeurs du mandat de François Hollande.

 

Un nain juché sur les épaules d’un géant

Alors, que conclure de tout cela ? Que François Hollande, conscient de sa petite stature cherche à se grandir en montant sur les épaules du Général. Assurément, il ne sera ni le premier ni le dernier à vouloir le faire. Mais qu’il prenne garde : à vouloir monter là où l’on n’a pas de raison d’être, on risque de chuter. Le général était grand, au physique comme au moral. La chute pourrait n’en être que plus brutale…

[1] http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/coulisses/2016/06/10/25006-20160610ARTFIG00210-hollande-sur-les-traces-du-general-de-gaulle.php

Mise en ligne CV : 14 juin 2016

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28 mai 2016 6 28 /05 /mai /2016 09:59

La résistance contre la déferlante du commerce sans limites commence à trouver un écho chez les parlementaires américains, qui ont rechigné devant la ratification accélérée du traité de partenariat transpacifique voulue par le président Barack Obama. Après deux décennies, le bilan accablant de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena) ne devrait guère les inciter à persévérer dans cette voie.

Par Lori M. Wallach 

Origine : le Monde diplomatique

 

Conclu entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada, l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) est entré en vigueur, le 1er janvier 1994, au milieu d’un flot de promesses. Ses promoteurs l’avaient répété : il allait permettre de développer les échanges commerciaux, doper la croissance, créer des emplois, réduire l’immigration clandestine. Tandis que le Washington Post s’émerveillait devant la « liste des nouvelles chances et des avantages » qu’il offrait (14 septembre 1993), le Wall Street Journal se réjouissait à l’idée que les consommateurs puissent bientôt bénéficier « de prix plus bas sur une vaste gamme de produits » (7 août 1992). Quant au Los Angeles Times, il assurait : « L’Alena générera beaucoup plus d’emplois qu’il n’en détruira » (29 mai 1993).

 

Ces commentaires lénifiants concernaient un accord commercial d’un genre nouveau. L’Alena ne se contentait pas, comme ses prédécesseurs, de réduire les droits de douane et de relever les quotas d’importation ; il impliquait également un nivellement des normes et prévoyait des mesures très protectrices pour les investisseurs étrangers. Il allait en outre autoriser les entreprises à contester directement des politiques nationales en assignant les Etats devant des tribunaux — des dispositions que l’on retrouve aujourd’hui dans le projet de grand marché transatlantique (GMT) . Examiner son bilan avec vingt ans de recul permet de mesurer le fossé séparant les annonces de la réalité. Et incite à se défier des évangélistes du libre-échange.

 

En 1993, les économistes Gary C. Hufbauer et Jeffrey J. Schott, du Peterson Institute for International Economics, expliquaient que l’Alena allait entraîner un accroissement des échanges commerciaux avec le Mexique et le Canada, suscitant la création de cent soixante-dix mille emplois avant la fin de l’année 1995 (2). Moins de deux ans après ces déclarations fracassantes, Hufbauer reconnaissait lui-même que l’effet sur l’emploi était « proche de zéro ». Il ajoutait : « La leçon pour moi, c’est que je dois me garder de faire des prévisions. » (3) Cet aveu n’empêche pas le Peterson Institute de multiplier désormais les prédictions optimistes au sujet du GMT...

 

Un déficit commercial abyssal

Loin d’avoir offert de nouveaux débouchés aux entreprises américaines et de les avoir poussées à embaucher, l’Alena a favorisé les délocalisations industrielles et l’ouverture de succursales à l’étranger, en particulier au Mexique, où la main-d’œuvre est bon marché. Dans le secteur agricole, une multitude d’entreprises américaines spécialisées dans la transformation de produits alimentaires se sont également installées au Sud. L’affaiblissement des normes sanitaires et environnementales engendré par l’accord leur a permis de profiter des bas salaires mexicains. En effet, avant 1994, de nombreuses denrées alimentaires transformées au Mexique étaient interdites à l’importation aux Etats-Unis, car jugées dangereuses. Une seule usine mexicaine transformant du bœuf était alors autorisée à exporter ses produits au Nord. Vingt ans plus tard, les importations de bœuf mexicain et canadien ont augmenté de 133 %, poussant à la faillite des milliers d’agriculteurs (4).

 

Le déficit commercial des Etats-Unis avec le Mexique et le Canada n’a cessé de se creuser : alors qu’il atteignait tout juste 27 milliards de dollars en 1993, il dépassait les 177 milliards en 2013 (5). D’après les calculs de l’Economic Policy Institute, le déficit commercial avec le Mexique a abouti à une perte nette de 700000emplois aux Etats-Unis entre 1994 et 2010 (6). En 2013, 845 000 Américains avaient d’ailleurs bénéficié du programme d’« aide à l’ajustement commercial » (trade adjustment assistance), destiné aux travailleurs qui ont perdu leur emploi à cause des délocalisations au Canada et au Mexique ou de l’augmentation des importations en provenance de ces pays (7).

 

Non seulement l’Alena a diminué le nombre des emplois aux Etats-Unis, mais il a aussi affecté leur qualité. Les salariés de l’industrie licenciés se sont tournés vers le secteur déjà saturé des services (hôtellerie, entretien, restauration, etc.), où la paie est moins élevée et les conditions plus précaires. Cet afflux de nouveaux travailleurs a exercé une pression à la baisse sur les salaires. Selon le Bureau of Labor Statistics, les deux tiers des ouvriers licenciés pour raisons économiques ayant retrouvé un travail en 2012 ont dû accepter un emploi moins bien rémunéré. La baisse dépassait même 20 % pour la moitié d’entre eux. Sachant que, cette année-là, un ouvrier américain gagnait en moyenne 47 000 dollars par an, cela équivaut à une perte de revenu d’environ 10 000 dollars. Cela explique en partie pourquoi le salaire médian stagne aux Etats-Unis depuis vingt ans, alors que la productivité des travailleurs augmente.

 

Certains promoteurs de l’Alena avaient prévu, dès 1993, ce phénomène de destruction d’emplois et de tassement des salaires. Mais, assuraient-ils alors, l’opération devait demeurer profitable pour les travailleurs américains, qui pourraient acheter des produits importés moins cher et bénéficier ainsi d’une hausse de leur pouvoir d’achat. Sauf que l’augmentation des importations n’entraîne pas nécessairement une baisse des prix. Par exemple, dans l’alimentaire, malgré un triplement des importations en provenance du Mexique et du Canada, le prix nominal des denrées aux Etats-Unis a bondi de 67 % entre 1994 et 2014 (8). La baisse du prix de quelques rares produits n’a pas suffi à compenser les pertes subies par les millions de travailleurs non diplômés, qui ont vu leur salaire réel baisser de 12,2 % (9).

 

Mais les travailleurs américains n’ont pas été les seuls à pâtir de l’Alena. L’accord a également eu des effets désastreux au Mexique. Autorisés à exporter sans entraves, les Etats-Unis ont inondé ce pays de leur maïs subventionné et issu de l’agriculture intensive, engendrant une baisse des prix qui a déstabilisé l’économie rurale. Des millions de campesinos (paysans) expulsés des campagnes ont migré pour se faire embaucher dans des maquiladoras (10), où ils ont pesé à la baisse sur les salaires, ou ont tenté de passer la frontière et de s’installer aux Etats-Unis. L’exode rural a également exacerbé les problèmes sociaux dans les villes mexicaines, conduisant à une montée en intensité de la guerre de la drogue.

 

Selon M. Carlos Salinas de Gortari, président du Mexique au moment de l’entrée en vigueur de l’accord, l’Alena devait permettre de réduire le flux des migrants essayant de passer au Nord. « Le Mexique préfère exporter ses produits que ses citoyens », lançait-il en 1993, assurant que son voisin avait le choix entre « accueillir les tomates mexicaines ou accueillir les migrants mexicains, qui cultiveront ces tomates aux Etats-Unis ». En 1993, 370 000 Mexicains avaient rejoint les Etats-Unis ; ils étaient 770 000 en 2000 ; 4,8 millions d’entre eux y vivaient clandestinement en 1993 ; 11,7 millions en 2012...

 

Ces départs massifs s’expliquent notamment par l’explosion du prix des produits de première nécessité. L’usage croissant du maïs américain pour produire de l’éthanol a fini par engendrer, au milieu des années 2000, une augmentation des prix, lourde de conséquences pour le Mexique, devenu dépendant des importations agricoles américaines.

 

Le prix des tortillas — l’aliment de base dans ce pays — a bondi de 279 % entre 1994 et 2004 (11). En vingt ans, le prix des produits de première nécessité a été multiplié par sept ; le salaire minimum, seulement par quatre. Alors que l’Alena devait leur apporter la prospérité, plus de 50 % des Mexicains vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Entre 1994 et 2014, le produit intérieur brut (PIB) par habitant du Mexique n’a augmenté que de 24 %. Entre 1960 et 1980, il avait bondi de 102 % (soit 3,6 % par an). Si le Mexique avait continué de croître à ce rythme, son niveau de vie serait aujourd’hui proche de celui des pays européens...

Les belles promesses se sont envolées, et il serait utile de dresser le bilan de cet échec afin de bâtir un modèle d’intégration économique plus juste. M. Barack Obama a reconnu lui-même les défauts multiples de l’Alena, assurant qu’il en tiendrait compte pour « résoudre certains problèmes » lors des futurs traités de libre-échange. Or, loin de tirer les leçons de ces erreurs, les négociateurs actuels du GMT semblent s’employer à les reproduire.

 

Libre-échange ou juste échange ?

Au sommaire de la nouvelle livraison de « Manière de voir » (en kiosques), retrouvez les éléments-clés du débat et des arguments pour mener le combat.

 

Comprendre les enjeux des accords de libre-échange négociés en secret : grand marché transatlantique, partenariat transpacifique, commerce des services. Des normes sanitaires au droit du travail, de l’écologie à l’agriculture, un panorama des secteurs concernés. Qui négocie quoi, pour le compte de qui et pourquoi ?

 

Situer la question dans son contexte historique et géographique : les transformations du commerce mondial ; les théoriciens du libre-échange ; les tribulations d’un iPhone ; la métamorphose des institutions ; le bilan des précédents accords. Cartographie, infographie, extraits de textes de référence.

Imaginer, résister, agir : les fondemen

ts du juste échange ; le protectionnisme et ses ennemis ; les « maîtres du monde » pris à leur propre piège. Des accords qui ne supportent pas la lumière du débat public. Comment s’organiser concrètement pour tailler en pièces le grand marché transatlantique ?

Lori M. Wallach

Directrice de Public Citizen’s Global Trade Watch, Washington, DC.

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29 avril 2016 5 29 /04 /avril /2016 19:31
Le cabinet Mossak-Fonseca, vu du Panama

L’analyste politique Julio Yao Villalaz s’indigne de l’amalgame créé entre les fichiers du cabinet Mossak-Fonseca et sa patrie. Il serait plus juste de parler de CIA Papers, compte-tenu du rôle de l’Agence états-unienne dans la création du cabinet et vu qu’elle ne l’a pas créé au Panama.
En outre, la publication des fichiers du cabinet par la presse a été précédée de diverses opérations des services de police et du fisc états-unien.

Réseau Voltaire | Panama (Panama) | 27 avril 2016

 

Le cabinet Mossak-Fonseca a été créé par la CIA, en 1986, de manière à constituer les sociétés off-shore nécessaires à l’anonymisation et au transfert de l’argent de l’opération Iran-Contras. L’Agence s’était alors appuyée sur Jürgen Mossack, le fils du SS Erhard Mossack, recruté par le Gladio pour lutter contre les Soviétiques.

 

Je ne pense pas rentrer dans le débat byzantin de savoir si la constitution d’entreprises off-shore est légale ou non, ni sur la question de leurs objectifs éventuels. Non que le sujet de la légalité de la chose me soit indifférent ou me semble sans importance. En effet, j’ai appris le mois dernier la responsabilité en la matière d’une certaine dame, agissant pour des raisons personnelles, et motivée par une volonté de vengeance : elle vendait, on le sait maintenant, depuis 2008-2009, une partie des documents de Mossack–Fonseca, et cela a été complété par les agissements d’un couple du même bureau et peut-être d’autres personnes.

 

Ce qui nous intéresse ici, c’est de savoir comment ces documents de Mossack-Fonseca sont tombés aux mains des agences étasuniennes « chargées de l’application de la loi » (US Law Enforcement Agencies) et si cela s’est produit avant ou après que la dame les remette ou les vende au journal Süddeutsche Zeitung. On sait que le Süddeutsche Zeitung les a remis au consortium des journalistes d’investigation (CPI) et que ceux-ci ont été soutenus par George Soros et les élites US hostiles à la Russie.

 

Le fait est que les dites agences se sont servies des documents de Mossack-Fonseca pour accuser et faire arrêter des narco-trafiquants, des terroristes, des trafiquants d’armes, des blanchisseurs d’argent, etc., et en outre pour agir contre certaines banques au Panama.

 

Cette question n’est plus du tout byzantine, parce qu’elle implique la participation éventuelle du gouvernement US, dans une action illicite d’ordre international. L’action contre la place bancaire et financière de Panama constitue une attaque contre l’une des bases de notre économie. Rien de byzantin non plus dans la révélation selon laquelle Mossack-Fonseca était de mèche et l’est encore, avec des personnages sinistres de presque tous les continents, liés à des services de renseignement, au moins depuis 1986, en particulier ceux qui ont trempé dans le scandale US-contra.

 

La firme Mossack-Fonseca n’est pas née en 1977 comme cela figure dans les archives mais en 1986, aux Iles Vierges (britanniques). En 1977 il n’existait que la Jürgen Mossack Law Firm (cabinet d’avocats). C’est en 1986 que naît la firme, à l’occasion du scandale US-Contra.

 

Comme l’affirme le New York Times dans son édition du 7 avril 2016 :

En 1986, tandis que le pays n’était pas encore sous le joug du général Manuel Noriega, Ramón Fonseca et Jürgen Mossack ont fusionné leurs modestes cabinets d’avocats et créé ce qui deviendrait le centre des opérations bancaires discrètes pour les élites. [1]

 

L’argent provenant de la vente d’armes était investi dans la drogue, que de hauts fonctionnaires —prétendant tomber des nues— introduisirent, à partir de Washington, dans les quartiers pauvres des US. Une partie des fonds ont été canalisés dans le Democracy Project pour faire tomber Noriega, de sorte que, d’un côté ils faisaient semblant de ne rien voir dans les quartiers non-blancs, et de l’autre, ils permettaient à des messieurs respectables et en smoking d’ouvrir la Mossack-Fonseca aux Iles vierges, territoire que les US partagent avec la Grande-Bretagne.

 

Pourquoi ne pas l’avoir créée au Panama ? Peut-être parce que l’opération Piscis de la DEA à Panama venait de se terminer avec succès, et que notre pays (sous la direction de Ricardo de la Espriella) avait approuvé des lois qui entravaient les opérations clandestines et illégales comme la Contra-US.

 

Mossack-Fonseca aurait pris part, en connivence avec Washington, à une action qui violait le droit international, contre le Panama, tel que le renversement d’un gouvernement étranger ; et c’est pour cette raison que l’origine de Mosscak-Fonseca est confuse, car on sait maintenant que Mossack-Fonseca avait servi divers services de renseignement de différents pays.

 

L’année 1986 est capitale à cause du scandale US-Contras, mais aussi parce qu’il y a exactement trente ans, en avril 1986, le Conseil de sécurité nationale des USA avait pris la décision de renverser Noriega pour des raisons internes, et ne relevant pas des Panaméens qui demandaient un changement, de façon bien légitime. Chaque Panaméen peut bien avoir sa vision de Noriega, mais les US n’avaient pas le moindre droit de l’expulser, d’autant moins qu’ils savaient d’avance que ce serait l’occasion d’assassiner des milliers de Panaméens innocents.

 

Il faut refuser à l’échelle du monde entier que le nom de Panama, qui appartient à tous les Panaméens, soit détourné pour qualifier les papiers qui décrivent la pourriture et la dégénérescence la plus grave du capitalisme des temps modernes. Pour couper tout lien avec le préjudice qui affecte désormais de nombreux pays, organismes et personnalités, il faut interdire l’entrée au lupanar, ou mieux encore, le fermer.

Julio Yao Villalaz

Traduction
Maria Poumier

Source
La Estrella de Panamá

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6 avril 2016 3 06 /04 /avril /2016 16:02

Par : Karim Bouali  

Algérie Patriotique

Repris sur Afrique Asie.fr

 

Le déplacement de Walid al-Mouallem, le ministre syrien des Affaires étrangères en Algérie, sans doute prélude à une visite officielle du président Bachar Al-Assad dans notre pays, a donné des frissons aux soutiens traditionnels et inconditionnels du «printemps arabe».

 

 

 

Ainsi, l’animateur surexcité d’Al-Jazeera, Fayçal Al-Kacim, s’en est vivement pris à l’Algérie à travers un message qu’il a posté sur sa page Facebook. Le propagandiste anti-syrien d’origine syrienne a, en effet, mis en garde – qui ? – contre la «réédition du scénario algérien en Syrie», c’est-à-dire, explique-t-il, «l’invention de groupes armés par l’armée pour neutraliser l’opposition et faire accroire à une menace terroriste». Il est évident, à travers cette réaction paniquée du collègue de Khadidja Benguenna – deux étrangers au passeport confisqué, à deux doigts d’être débarqués avec l’ensemble des employés d’Al-Jazeera qui a déjà mis à la porte 500 de leurs collègues – que les artisans du chaos en Syrie ont compris que la fin de Daech est proche et que l’armée syrienne est en train de remporter la guerre. Une issue à un plan de déstabilisation qui, il y a encore quelques mois, était tout simplement invraisemblable.

La chaîne de propagande islamiste qatarie a échoué dans la mission qui lui a été assignée par ses fondateurs, laquelle consistait à mettre le Moyen-Orient et le Maghreb à feu et à sang et à épargner les régimes monarchiques despotiques du Golfe. A la longue, les citoyens de ces pays, obnubilés pendant de longues années par cet outil qui fonctionne grâce au savoir-faire d’experts américains, britanniques et autres en matière de manipulation et de désinformation, ont fini par se réveiller de leur hypnose lorsqu’ils ont découvert l’état dans lequel se trouvent les peuples arabes après la chute des régimes dictatoriaux et leur remplacement par des pseudo-démocraties.

Fragilisés, exsangues, en situation de quasi-faillite, la Tunisie, l’Egypte, la Libye, le Yémen et la Syrie ont fini par suivre l’exemple de l’Algérie en interdisant à la chaîne Al-Jazeera d’exercer son rôle maléfique à partir de son territoire. Les bureaux de cette chaîne seront alors fermés les uns après les autres et des journalistes-agents seront même emprisonnés par les autorités égyptiennes et jugées pour subversion et atteinte à la sécurité nationale de l’Egypte.

A cette baisse drastique de l’audience, Doha est confronté, à l’instar de tous les pays producteurs de pétrole et de gaz, à la chute vertigineuse des prix des hydrocarbures. Faux argument ou raison objective, l’inévitable fermeture d’Al-Jazeera «pour des raisons économiques» apparaît comme une planche de salut pour l’émir de ce petit pays qui veut se débarrasser de ce fardeau hérité de son père et jeter à la poubelle tous ceux qui y officient comme clairons et qui ne lui servent désormais à rien, sinon à renforcer un monstre appelé Daech et qui n’épargne plus personne. Y compris ses propres créateurs.

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29 mars 2016 2 29 /03 /mars /2016 14:48

 

selon certains partisans de l’Europe…

Par Pierre Lévy

Spécialiste des questions européennes, Pierre Lévy dirige la rédaction du mensuel Ruptures. Précédemment, il a été journaliste au sein du quotidien L’Humanité, ingénieur et syndicaliste. Il est l’auteur de deux essais et d’un roman.

25 mars 2016

 

© Frederic SierakowskiSource: Reuters

L'aéroport de Bruxelles suite à l'attentat du 22 mars 2015

 

Les attentats de Paris et de Bruxelles pourraient servir la cause de certains partisans de l'Europe unie, estime le spécialiste des questions européennes Pierre Lévy.

 

Après les tragiques attentats de Bruxelles, il convient avant tout de s’incliner devant le drame des victimes et la douleur de leurs proches.

 

Pour autant, l’émotion ne doit pas empêcher la réflexion. A ce stade, l’on peut déjà formuler quelques remarques et questions. La première porte sur l’abyssale disproportion entre les événements bruts, et le flot continu de «directs» et d’éditions spéciales qui ont saturé l’espace médiatique, et balayé quasiment tous les autres événements. Etrangement, on ne cesse d’expliquer que les djihadistes tentent d’impressionner, de subjuguer et de terroriser les citoyens ; et les mêmes n’hésitent pas à ainsi sur-relayer cette guerre psychologique.

 

Si encore les grands journaux, radios et télés apportaient des questionnements nourrissant la réflexion, ceux-ci seraient légitimes et bienvenus. Or seule la question du «comment ?» est évoquée : comment ont-ils procédé, comment ont-ils pu échapper, comment leur faire échec ?... En revanche, la question essentielle du «pourquoi ?» passe à la trappe.

 

Croit-on vraiment que le groupe Etat islamique est uniquement composé de fanatiques écervelés dont le seul moteur est la «haine de l’autre», et le seul espoir, l’arrivée expresse au paradis coranique ?

Comme si l’invocation compulsive de «la haine» suffisait à solder l’analyse ; comme si la psychologie suffisait à expliquer les guerres ; comme si, ces dernières n’avaient pas, toujours, des causes matérielles et des intérêts sous-jacents. Car on ne cesse de nous le répéter : «nous sommes en guerre». Mais si tel est le cas, la première des questions à se poser est : quel est, quels sont, les véritables «buts de guerre».

 

La doxa politico-médiatique explique qu’il s’agit de répandre la terreur. Mais, ça, c’est une stratégie – pas un objectif. En faisant passer les moyens pour les fins, on ne risque guère d’éclairer les citoyens. Croit-on vraiment que le groupe Etat islamique est uniquement composé de fanatiques écervelés dont le seul moteur est la «haine de l’autre», et le seul espoir, l’arrivée expresse au paradis coranique ? N’y a-t-il pas, au moins, quelques têtes pensantes, et qui sait, quelques amis discrets, qui réfléchissent en termes de buts à atteindre, d’intérêts à défendre, de services à rendre ?

 

Le plus étrange est que la question ne soit jamais posée – en tout cas dans le débat public.

Ce que chaque citoyen peut en revanche constater, ce sont les conséquences de la situation ainsi créée. Deux au moins crèvent les yeux. La première est le fol emballement sécuritaire, aussi dangereux qu’inefficace. L’image des hélicoptères vrombissants dont les projecteurs balayent nuitamment des quartiers entiers est quasi-orwellienne. A Paris, les fusils-mitrailleurs et les uniformes kaki se banalisent dans les rues et dans les transports ; faudra-t-il bientôt passer à la fouille avant d’attraper le métro ?

 

La seconde conséquence tient à la relégation au second plan des actuels problèmes sociaux et économiques.

 

Quant aux causes de la violence métastasée en attentats criminels, elles sont évidemment complexes et multiples. Il importe cependant de rappeler encore et toujours que, parmi celles-ci, figure le chaudron moyen-oriental. Qui peut prétendre que la gangrène qui n’a cessé de s’aggraver depuis des décennies de la Palestine à la Syrie et à l’Irak – et plus récemment, de la Libye jusqu’au Pakistan – n’est pour rien dans la barbarie perpétrée par les djihadistes ? Affirmer ceci ne constitue ni de près ni de loin un début d’excuse pour ces derniers. Mais l’occulter revient à se condamner à la poursuite de l’enfer.

 

Ecrire que c’est l’UE qui était visée permet à quelques plumes de pointer la solution miracle : « il faut plus d’Europe »

 

Depuis la première invasion de l’Irak en 1991 jusqu’au pilonnage du Yemen qui se poursuit aujourd’hui dans une totale indifférence, les puissances occidentales, et/ou leurs alliés et affidés n’ont cessé de multiplier guerres et ingérences brutales. Peut-on oublier que Daech est l’enfant de la seconde invasion de l’Irak et de la déstabilisation de la Syrie, de même qu’Al-Qaïda avait eu sa rampe de lancement en Afghanistan ? Faut-il rappeler que, dans ce dernier cas, les dirigeants américains admettent désormais avoir aidé (c’est un euphémisme) les Taliban afghans avec l’objectif de déstabiliser ce qui était alors l’URSS ? Ce fut l’acte de naissance du djihadisme moderne, créé et instrumentalisé pour des intérêts qui ne sont pas totalement mystérieux.

 

Soyons justes, de nombreux commentateurs ont quand même «découvert» le véritable objectif des kamikazes de Bruxelles, et le répètent en chœur : «c’est symboliquement l’Europe qui était visée.» Cette propension des dirigeants de l’UE et de ses propagandistes à se croire le centre du monde n’est certes pas nouvelle, même si, en l’espèce, elle est touchante de ridicule. Car les explosifs qui ont ensanglanté Bruxelles avaient précédemment touché l’avion de touristes russes revenant d’Egypte, et même tout récemment, Istanbul – était-ce déjà l’UE qui était visée ?

 

Qu’importe qu’aucun personnel des institutions communautaires n’ait été touché ; qu’importe que le communiqué de revendication ne fasse aucune allusion à l’Union européenne : écrire que c’est l’UE qui était visée permet à quelques plumes de pointer la solution miracle (quel que soit le problème, d’ailleurs) : « il faut plus d’Europe ». Mettre en place une Europe fédérale, telle est la piste que pointe ainsi Arnaud Leparmentier, directeur éditorial du Monde (dans sa chronique du 24/03/2016), en déplorant toutefois que « les pressions populistes » (comprendre : les réticences populaires) bloquent cette voie. Parmi les idées suggérées : «la création d’un FBI européen» (tiens, il n’a pas écrit : «la création d’un FSB européen»…).

 

Pour sa part, Jean-Michel Servant, rédacteur en chef adjoint du quotidien régional Le Midi Libre dévoile sans ambages l’état d’esprit de certains orphelins de l’Europe : « ce terrorisme aveugle est aussi une opportunité pour la construction européenne ».

 

Une opportunité. Il fallait l’écrire.

 

Repris sur RT ex Russia To Day

 

 

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